Lors de sa création en réaction aux attentats du 11 septembre 2001, on le voyait comme «l'élément le plus audacieux» du contre-terrorisme canadien. En 2011, le Centre intégré d'évaluation des menaces (CIEM) n'était plus qu'un organisme désuet, inadapté, peu productif, pas à la hauteur de ce que l'on attend de lui et piètre gestionnaire, si l'on en croit un rapport «secret» adressé au ministre de la Sécurité publique.



Le partage du renseignement est unanimement considéré comme un maillon essentiel du contre-terrorisme. Sauf que dans les faits, l'organisme canadien chargé en 2004 de cette «mission ambitieuse» serait incapable de jouer ce rôle-clé.

La conclusion du rapport commandé par le gouvernement fédéral «pour accroître la capacité de lutte contre le terrorisme du Canada», obtenu par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, est sévère: «Le statu quo n'est plus acceptable. Il faut d'abord se demander si le modèle du CIEM [ITAC en anglais] est encore valable et s'il vaut la peine d'être conservé.»

Le CIEM (rebaptisé CIET - Centre intégré d'évaluation du terrorisme - depuis la date de rédaction du rapport) réunit 14 partenaires engagés dans le renseignement et la sécurité au Canada. Ses bureaux sont situés au quartier général du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), à Ottawa.

Sur le papier, son rôle est de recueillir et de centraliser les informations les plus précises et les plus actualisées possible sur les menaces terroristes et les «violences à caractère politique» potentielles qui pourraient viser le Canada et les intérêts canadiens hors des frontières. Il les partage ensuite avec le gouvernement et ses partenaires ainsi que divers clients. Sans oublier les homologues étrangers du CIEM, membres tout comme le Canada du groupe des Five Eyes: États-Unis, Royaume-Uni, Australie et Nouvelle-Zélande.

Le CIEM est aussi mis à contribution dans le cadre d'événements particuliers tels les Jeux olympiques ou des sommets internationaux.

À titre d'exemple, au cours des derniers mois, le CIEM s'est intéressé aux «militants islamistes canadiens d'origine somalienne», aux «Canadiens qui s'entraîneraient au terrorisme au Pakistan», au mouvement libanais Hezbollah et aux «plans» d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique qui songerait à des attentats aériens à l'aide d'explosifs cachés dans des bouteilles isothermes.

Or, c'est la qualité de ce travail qui est critiquée. «Les plaintes les plus fréquentes: "Trop peu, trop tard, trop général"», indique le rapport.

Rares sont les personnes interrogées qui jugeraient les produits du CIEM «utiles, opportuns ou applicables à leurs besoins». On déplore aussi un manque de «précisions sur la fiabilité des sources».

Le document sur le CIEM évoque aussi une «grande confusion au sujet de son statut, sa gouvernance et sa responsabilité». L'organisme relève de la direction du SCRS, qui assure aussi une partie de son financement. De fait, on lui reproche de ne pas «avoir acquis une identité distincte et d'être trop axé sur le SCRS».

On dénonce aussi «la confusion et les tensions entre le SCRS et le CIEM» ainsi que des problèmes de collaboration.

De plus - et rien pour arranger la situation -, beaucoup d'autres organisations fédérales possèdent leurs propres analystes qui, eux aussi, diffusent à l'externe leurs évaluations. Ce qui «sape l'influence et la crédibilité du CIEM [...] et déconcerte ses partenaires internationaux».

On a aussi découvert au cours de cet audit que la gestion financière laissait à désirer.

«Seulement le tiers des frais d'exploitation annuels fait l'objet d'un suivi détaillé», est-il écrit.

Autant de reproches considérés comme excessifs, voire injustifiés, par certains utilisateurs des produits du CIEM consultés par La Presse qui ont constaté, au contraire, une nette amélioration ces derniers temps.

Des changements

Pourtant, l'auteure de l'étude serait Margaret Purdy. Aujourd'hui consultante indépendante, elle a passé près de 28 ans dans l'appareil gouvernemental lié à la défense (sous-ministre déléguée), à la sécurité et au contre-terrorisme, selon son CV affiché sur LinkedIn.

Au ministère de la Sécurité publique, on indique que des changements «positifs» ont été apportés depuis son audit: «Des ressources supplémentaires ont été affectées au CIET, y compris du personnel, explique Josée Picard, porte-parole. Il concentre directement ses efforts, son expertise et ses ressources sur la menace terroriste au Canada [...] et a maintenant un accès accru aux renseignements sur le terrorisme de tous les ministères et organismes du gouvernement.»

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Les composantes et partenaires du CIEM/CIET

> Agence des services frontaliers du Canada

> Agence du revenu du Canada

> Service canadien du renseignement de sécurité

> Centre de la sécurité des télécommunications

> Service correctionnel

> Défense nationale

> Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada

> Affaires étrangères

> Bureau du Conseil privé

> Gendarmerie royale du Canada

> Transports Canada

> Travaux publics Canada

> Sûreté du Québec

> Police provinciale de l'Ontario

- Avec William Leclerc