Pour éviter de nouveau l'embarras lié à la fabrication en Chine des épinglettes représentant le drapeau du Canada qu'utilisent les députés de la Chambre des communes, le ministère des Travaux publics a songé à accorder ce contrat hautement symbolique... aux prisonniers canadiens.

Mais, au bout du compte, cette solution a été écartée puisque CORCAN, l'organisme chapeauté par le Service correctionnel du Canada, qui supervise le programme de travail et de formation pour les détenus dans des pénitenciers fédéraux, aurait été obligé de faire des investissements de près de 2 millions de dollars pour être en mesure de fabriquer ces épinglettes.

 

Des documents obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information démontrent que les fonctionnaires du ministère du Patrimoine, responsable des symboles canadiens au pays, étaient manifestement inquiets des retombées de la controverse provoquée par l'achat d'épinglettes fabriquées en Chine par le ministère des Travaux publics.

En avril, le NPD s'était indigné de voir que le gouvernement fédéral avait acheté des épinglettes de l'unifolié fabriquées par l'entreprise chinoise Xiamen Gaoxu Co. Ltd. alors que des milliers de Canadiens travaillant dans le secteur manufacturier avaient perdu leur emploi. Le contrat de 225 000$ a été accordé par Travaux publics à une société à numéro près de Montréal, qui a par la suite commandé des dizaines de milliers d'épinglettes de l'entreprise chinoise.

Ces épinglettes sont vendues dans une boutique de souvenirs de la colline parlementaire et remises à tous les députés et sénateurs afin qu'ils puissent les distribuer à leurs commettants dans leur circonscription.

Ce n'était toutefois pas la première fois qu'une telle controverse éclatait. En 2005, le NPD avait encore dénoncé que des épinglettes de l'unifolié que donnent les députés à leurs commettants soient fabriquées en Chine. Le ministre des Travaux publics de l'époque, le libéral Scott Brison, avait alors promis de corriger cette situation.

Hier, une porte-parole du Service correctionnel Canada, Caroline McNicoll, a confirmé à La Presse que Travaux publics avait demandé à CORCAN s'il pouvait se lancer dans la fabrication de ces épinglettes il y a 18 mois.

«Pour se lancer dans cette initiative, CORCAN aurait dû faire des investissements de l'ordre de 2 millions de dollars en nouveaux équipements et former les détenus. En analysant le tout, CORCAN a décidé de ne pas aller de l'avant pour des raisons de coût et de délais», a dit Mme McNicoll.

Interrogé à ce sujet hier, le député néo-démocrate Charlie Angus s'est dit stupéfait de cette démarche du ministère des Travaux publics. Bien des entreprises canadiennes sont en mesure de fabriquer ces épinglettes.

«Quand on a demandé à ce que ces épinglettes soient fabriquées au Canada, on pensait à des entreprises canadiennes, pas à des groupes d'individus enchaînés. Je ne crois pas ces gens au ministère des Travaux publics», a dit M. Angus.

Cela dit, les détenus canadiens font déjà du travail pour le ministère des Travaux publics. Ils réparent des véhicules militaires. C'est ce que permet de constater une visite sur les pages web du CORCAN.

Jusqu'à tout récemment, le CORCAN supervisait également les fermes des pénitenciers fédéraux, où les prisonniers pouvaient apprendre le travail agricole. Mais le ministère de la Sécurité publique a ordonné la fermeture de ces installations, sous prétexte qu'une évaluation avait révélé qu'elles coûtaient trop cher et qu'elles ne fournissaient pas aux délinquants une formation qui leur était utile après la détention.

Cette évaluation stratégique a toutefois épargné la portion du programme CORCAN qui vise à produire du matériel militaire. C'est ainsi que, par exemple, des détenus de la prison de Cowansville travaillent depuis près de cinq ans sur des travaux de carrosserie qui visent à remettre à neuf un parc vieillissant de véhicules militaires.

Le site web du Service correctionnel du Canada contient même un catalogue de ces articles militaires produits par des prisonniers et en vente par le gouvernement: véhicules logistiques lourds à roues, lits d'officiers, bâches et mobilier de bureau figurent parmi la marchandise offerte.

«Les compétences et l'expérience acquises par les délinquants leur seront très précieuses lorsqu'ils sortiront de prison et chercheront un emploi», explique l'organisme sur le site web.