Confusion des genres, abus de pouvoir, possible violation des règles d'éthique... Un chèque du gouvernement canadien orné du logo du Parti conservateur et signé par un député plonge à nouveau les troupes de Stephen Harper dans l'embarras. L'opposition a accusé hier le gouvernement fédéral de se servir des dépenses en infrastructures pour faire de la «propagande» pour le Parti conservateur.

C'est d'abord une photo d'un député conservateur de la Nouvelle-Écosse, Gerald Keddy, prise au mois de septembre, qui a soulevé les foudres des libéraux et des néo-démocrates à Ottawa. On y voit le député remettre un chèque de plus de 300 000$ à un organisme de sa circonscription pour des projets d'infrastructures. C'est le type de photo que l'on voit régulièrement dans les journaux régionaux. Le problème, c'est que la reproduction du chèque porte, bien en évidence, le logo du Parti conservateur et la signature du député. Aux yeux de l'opposition, cela crée de la confusion entre le parti politique de M. Harper et le gouvernement fédéral, en plus de donner l'impression que le député paie de sa poche la somme en question.

 

«Ça viole toutes les règles. C'est l'argent des Canadiens, pas l'argent des conservateurs, ni celui de Gerald Keddy ni d'aucun autre député, s'est insurgé le député libéral Wayne Easter. Ce sont les impôts des contribuables, qui sont censés être dépensés dans des programmes du gouvernement pour stimuler l'économie canadienne, pas pour la propagande de M. Harper.»

La controverse a rapidement rattrapé le premier ministre, qui était de passage en Alberta pour annoncer, justement, un nouvel investissement dans le cadre du plan d'action économique. «Le député lui-même a admis que c'était une erreur et que ça ne se répétera pas», a rétorqué, sans équivoque, M. Harper.

«C'est inapproprié. Le logo conservateur n'a pas sa place sur les chèques des annonces gouvernementales», a ajouté en fin de journée Dimitri Soudas, attaché de presse du premier ministre. M. Soudas s'est toutefois bien gardé de condamner la signature de M. Keddy sur le chèque.

Or, les députés libéraux ont rapidement trouvé d'autres exemples où des députés et ministres ont apposé leur nom, et parfois un slogan ou un logo du parti, sur des chèques gouvernementaux. Le député d'Okanagan-Shuswap, en Colombie-Britannique, Colin Mayes, présente notamment sur son site internet une photo de lui avec un chèque du plan d'action économique sur lequel se trouve non seulement le logo du Parti conservateur, mais aussi sa propre photo.

«Si nous avions un seul exemple, ou un seul député qui s'est prêté à ce jeu-là, ça pourrait être de la naïveté, ça pourrait être innocent. Mais à partir du moment où il y a usage répétitif, dans des conditions quasi identiques, dans les Maritimes, en Colombie-Britannique, c'est une habitude, pas une coïncidence», a jugé le député libéral Marcel Proulx.

Selon les libéraux, la pratique viole le Programme de coordination de l'image de marque du gouvernement du Canada, qui stipule que c'est le logo du gouvernement canadien qui doit être utilisé dans ce genre d'annonce.

«Pour nous, c'est un abus de pouvoir et un message trompeur de la part du gouvernement envers la population», a conclu M. Proulx.

La politique de communication du gouvernement stipule en outre que l'information sur les programmes, services et initiatives gouvernementaux doit se transmettre de façon non partisane.

L'argent des contribuables

«Le commissaire (John) Gomery a démontré très clairement après le scandale des commandites que quand on transgresse la ligne entre les dépenses du gouvernement et la politique partisane, ça devient très dangereux, a dit le député néo-démocrate Peter Stoffer. C'est ce que les conservateurs sont en train de faire. Ils passent complètement outre aux recommandations du juge Gomery, et cette pratique nous apparaît contraire à l'éthique.»

M. Stoffer s'est adressé hier à la commissaire fédérale à l'éthique, Mary Dawson, pour qu'elle enquête sur l'incident concernant M. Keddy.

«C'est l'argent des contribuables. Ça n'appartient pas au Parti conservateur pour faire sa propre promotion. C'est très arrogant de leur part», a estimé M. Stoffer.

Pour le leader parlementaire du Bloc québécois, Pierre Paquette, les conservateurs se rapprochent, par ces pratiques, des libéraux à l'époque du scandale des commandites, en faisant passer «la visibilité du parti avant les services aux citoyens».

«Ce qui est le plus choquant de la part des conservateurs, c'est qu'eux-mêmes, dans l'opposition, dénonçaient ces pratiques de la part des libéraux, a souligné M. Paquette. On se serait attendu à ce que le gouvernement conservateur, qui prêche la loi et l'ordre, soit exemplaire à cet égard-là. C'est à mettre au compte de leurs contradictions.»

Le nouvel incident survient moins de deux semaines après que les conservateurs ont été accusés de vouloir politiser les Jeux olympiques. L'opposition avait alors jugé que le nouveau logo de l'équipe canadienne ressemblait à s'y méprendre à celui du parti de Stephen Harper.