Des fonctionnaires canadiens au Kenya ont hésité à faire subir un test d'ADN à une jeune femme qu'ils accusaient de voyager avec un passeport canadien qui n'était pas le sien, parce que cela aurait entraîné des dépenses trop importantes, révèlent des documents rendus publics mardi.

«Ce genre de tests sont faits de façon routinière par Immigration Canada, le problème, c'est que ça coûte cher, 500 dollars ou plus», écrit l'agent consulaire Philip Lupul dans un courriel envoyé à des collègues le 3 juillet dernier.

À l'époque, Suaad Hagi Mohamud était retenue au Kenya depuis six semaines parce qu'on l'accusait d'usurpation d'identité. Elle a dû attendre qu'un tribunal canadien s'en mêle pour pouvoir faire analyser son ADN. Le test a confirmé qu'elle était bien la titulaire du passeport. Elle est finalement rentrée au Canada à la mi-août.

Ce courriel fait partie d'une pile de documents qu'a obtenus l'avocat de Suaad Mohamud, Raoul Boulakia, grâce à la Loi sur l'accès à l'information. Les députés libéraux Bob Rae, Dan McTeague et Joe Volpe les ont rendus publics mardi, en conférence de presse.

D'autres échanges électroniques démontrent que le premier ministre Stephen Harper avait été informé du cas de Mme Mohamud dès le 1er juillet, à la suite d'un article paru dans le Toronto Star. Pourtant, le 18 août, le premier ministre a assuré qu'il avait pris connaissance de la situation à peine une semaine plus tôt et qu'il avait immédiatement fait enquête.

Les documents dévoilés mardi démontrent que, dans toute l'histoire de Mme Mohamud, le gouvernement «ne fait que perpétuer des faussetés», dénonce Joe Volpe, qui représente la circonscription fédérale torontoise où vit Mme Mohamud.

M. Volpe a soulevé la question mardi à la Chambre des communes, mais le premier ministre a maintenu sa version des faits : il n'avait pas entendu parler de Suaad Hagi Mohamud avant le mois d'août. «Il y a des milliers de cas consulaires, et il est extrêmement rare pour un premier ministre d'être personnellement engagé dans ces dossiers. Je l'ai fait au début d'août. J'ai demandé que Mme Mohamud soit ramenée au Canada. Et elle l'a été», a répondu Stephen Harper.

Fardeau de la preuve

Le dossier de Suaad Hagi Mohamud contient un autre échange électronique qui montre que, trois semaines après lui avoir confisqué son passeport, les responsables canadiens au Kenya n'avaient pas complètement écarté l'éventualité d'une erreur.

Dans cet échange, qui date du début du mois de juin, deux fonctionnaires du Haut-Commissariat canadien à Nairobi se demandent si elles devront témoigner devant la cour kényane, qui envisage d'intenter une poursuite pour fraude contre Mme Mohamud.

«Pour être honnête, je ne crois pas qu'Immigration Canada ou les autorités consulaires devraient témoigner. Si l'accusée finissait par s'avérer Canadienne (quoique dans ce cas, les photos soient éloquentes) nous pourrions encourir des poursuites», s'inquiète Liliane Khadour.

Sa correspondante, Odette Gaudet-Fee, note que c'est Mme Mohamud qui a «le fardeau de prouver son identité et sa citoyenneté».

À son retour au Canada, celle-ci a intenté une poursuite de 2,5 millions contre le gouvernement fédéral. La semaine dernière, Ottawa a présenté sa défense, dans laquelle il maintient sa version des faits.

Ainsi, dans sa déposition, l'agent Paul Jamieson, qui avait interrogé trois fois Mme Mohamud avant de conclure qu'il s'agissait, en fait, de sa soeur, soutient que celle-ci était incapable de dire quelles tâches elle accomplissait pour la firme torontoise ATS, où elle prétendait travailler.

Vérification faite auprès des responsables des ressources humaines de cette compagnie, M. Jamieson affirme qu'aucune Suaad Hagi Mohamud ne figure parmi sa liste d'employés.

M. Jamieson a été muté quelques semaines plus tard. Dès le 15 juillet, son successeur, Darryl Huard, a reçu un courriel de la compagnie ATS confirmant que Mme Mohamud travaillait comme débardeur pour sa filiale Ready Staffing Solutions, de minuit à 8 h 30, pour un salaire de 11,71 $ l'heure.

Toutes ces informations font dire au député Dan McTeague que, au lieu de «continuer à répéter des arguments qu'il sait faux», Ottawa devrait s'excuser et dédommager la jeune femme.