Des élections fédérales semblaient inévitables cet automne jusqu'à ce que le chef du NPD, Jack Layton, séduit par la proposition des conservateurs d'accorder jusqu'à 20 semaines de plus de prestations d'assurance emploi à des travailleurs de longue date ayant perdu leur emploi, cause la surprise en offrant de soutenir le gouvernement minoritaire de Stephen Harper. M. Layton a dû se défendre de renier ses principes à la suite de cette décision. L'homme à la cravate orange s'est entretenu avec notre chef de bureau à Ottawa, Joël-Denis Bellavance, à ce sujet.

Q: Beaucoup d'observateurs vous ont critiqué parce que vous avez décidé de soutenir le gouvernement minoritaire de Stephen Harper. Avez-vous trouvé la rentrée parlementaire difficile?

 

R: Tous les jours, j'ai pensé aux visages des gens que j'ai rencontrés pendant l'été, même la semaine dernière, qui me disaient, après une réunion: «J'ai perdu mon emploi. J'ai 50 ans et je ne peux pas trouver un autre travail.» J'ai vu des larmes sur les visages. Ils m'ont demandé de faire quelque chose pour les aider. On me pose des questions sur les sondages, ou encore à propos de nos décisions sur les votes passés. Mais moi, je pense à eux. Mercredi soir, j'étais à l'Université Queens. Une jeune fille pensait qu'elle ne pourrait pas aller à l'université parce que son père à Thunder Bay a perdu son emploi. Son père devait choisir entre l'hypothèque ou les frais de scolarité. Quand on pense à la possibilité d'avoir 1 milliard de dollars pour ces familles, pour ces personnes, je n'ai aucun doute au sujet de ce que nous devons faire. On doit venir en aide à ces familles le plus rapidement possible.

Q: Ces attaques ne vous dérangent pas?

R: J'ai vécu toute ma vie avec des attaques. Il n'y a jamais eu un journal qui a appuyé notre parti. Mais nous avons toujours progressé en tant que parti, nous avons toujours augmenté nos appuis durant les élections. Pourquoi? Parce que nous tentons de faire ce que les gens veulent de nous. Je n'ai rencontré presque personne qui m'a dit que la première chose que nous devions faire, c'était de provoquer d'autres élections. Mais, d'un autre côté, beaucoup de gens nous ont demandé de les aider. Je pense que le choix était clair.

Q: Donc, vous estimez avoir écouté la population, avoir fait passer les intérêts de la population avant les intérêts des partis politiques?

R: C'est notre raison d'être. Nous essayons d'être fidèles à ces principes. Sommes-nous parfaits tout le temps? Probablement pas. Nous sommes des êtres humains. Mais nous faisons de notre mieux. C'est pourquoi le caucus est content de ce qui arrive. Nos militants nous appuient. Et les grands syndicats aussi.

Q: Que répondez-vous à ceux qui disent que le NPD a abandonné son rôle de conscience sociale du Parlement en appuyant un gouvernement conservateur qui, selon les observateurs, a mis du temps à réagir à la crise économique et qui, selon les écologistes, a fait peu de choses pour lutter contre les changements climatiques?

R: Nous rejetons plusieurs des politiques de M. Harper. Mais ce que nous sommes en train de faire, c'est d'accomplir des résultats concrets pour les gens. C'est toujours de cette façon que le NPD a fonctionné. Pour nous, ce qui compte, ce sont les résultats, pas nécessairement les apparences. Aussi, le NPD a appuyé le premier projet de loi déposé par le gouvernement Harper sur l'imputabilité. Nous avons proposé des amendements. Les conservateurs les ont acceptés pour régler le comportement inacceptable et la corruption des libéraux.

Q: Est-ce que les événements de cette semaine vous ont appris une leçon concernant la façon de faire de la politique? Vous avez souvent reproché aux libéraux de soutenir les conservateurs. Vous avez même préparé un gâteau pour souligner le fait qu'ils avaient voté 79 fois avec les conservateurs. Avec le recul, feriez-vous la même chose?

R: Nous avons peut-être trop mis l'accent là-dessus. Mais c'était pour démontrer que les libéraux n'obtenaient pas de résultats. Dans le dernier budget, par exemple, les conservateurs attaquaient les femmes, l'environnement, il y avait beaucoup de choses qui nous inquiétaient. C'est pourquoi nous avons souligné qu'il était inacceptable que les libéraux appuient les conservateurs sans rien accomplir, juste pour les maintenir au pouvoir.

Q: Depuis votre décision, cette semaine, les libéraux vous attaquent beaucoup. Vous êtes dans leur ligne de mire.

R: Nous avons eu l'occasion de travailler avec les libéraux en formant une coalition (en décembre dernier). Mais M. Ignatieff a décidé de la rejeter pour ensuite appuyer M. Harper. Il a rejeté l'occasion de travailler ensemble pour mettre au pouvoir un gouvernement progressiste. Et maintenant, il ose m'attaquer pour avoir demandé directement au premier ministre et obtenu 1 milliard de dollars pour les chômeurs qui sont menacés de perdre leur maison ou qui ne peuvent mettre de la nourriture sur la table? Nous avons essayé de faire fonctionner le Parlement avec le Parti libéral en concluant une coalition. C'était une occasion en or. M. Ignatieff a signé le document en disant qu'il acceptait la coalition. Mais il a choisi M. Harper à la place, sans rien obtenir en retour. S'il avait été sincère dans son désir de remplacer M. Harper, il aurait pu le faire sans provoquer d'élections.

Q: Vous répondez à un voeu de la population en ne provoquant pas d'élections un an après le dernier scrutin. Vous offrez aussi une certaine stabilité à Ottawa. Mais pour combien de temps?

R: Cela va dépendre du premier ministre Harper. Va-t-il retourner à ses anciennes habitudes en refusant de travailler avec les autres? Ou va-t-il essayer de répondre aux propositions réalistes et importantes qui sont sur la table en ce qui concerne les pensions, les frais des cartes de crédit, les changements climatiques? S'il ne le fait pas, cela veut dire qu'il veut des élections et il provoquera des élections. S'il répond à nos propositions, cela indiquera une volonté d'avoir un Parlement qui fonctionne au lieu d'avoir un Parlement toujours en chicane.