Les Haïtiens seront vraisemblablement les premières victimes des modifications à l'«Entente sur les tiers pays sûrs» annoncées jeudi soir et qui interdisent désormais aux personnes ayant transité par les États-Unis de faire une demande d'asile à leur arrivée à la frontière canadienne.

L'an dernier, quelque 4000 ressortissants de cet État des Grandes Antilles ont procédé ainsi pour entrer au Canada et y demander le statut de réfugié. Cela représente environ 80 pour cent de ce genre de requêtes.

Jusqu'à maintenant, les citoyens de pays visés par une «suspension temporaire des renvois» pouvaient demander asile au Canada après avoir transité par les États-Unis.

Ces pays sont ceux que le Canada considère comme trop instables ou trop dangereux pour y déporter les individus à qui il refuse un statut de réfugié ou d'immigrant.

En plus d'Haïti, la liste comprend l'Afghanistan, le Congo, l'Irak et le Zimbabwe.

Le Burundi, le Rwanda et le Liberia y figuraient aussi jusqu'à cette semaine, mais le gouvernement fédéral les juge désormais assez sécuritaires pour y renvoyer des personnes «interdites de territoire».

Les changements annoncés jeudi soir suscitent de l'inquiétude dans la communauté haïtienne de Montréal, qui a été prise de court par la nouvelle.

«Cela va sûrement affecter beaucoup de gens. Surtout ceux qui arrivent par la frontière de Lacolle», a expliqué Raymond Laurent, qui anime depuis 20 ans l'émission Samedi midi inter sur les ondes de la radio CKUT.

«La situation d'Haïti reste quand même difficile et je crois que la décision des conservateurs, c'est une mesure très dure», a-t-il ajouté.

Ottawa dit avoir choisi de modifier l'Entente sur les tiers pays sûrs en vigueur depuis 2004 afin de pouvoir mieux gérer les demandes d'asiles et de réduire la possibilité de demandes d'asile multiples.

«Il est important de ne pas créer un système d'immigration à deux vitesses: une vitesse pour les immigrants qui attendent patiemment leur tour de venir au Canada, souvent pendant des années, et une autre vitesse pour les personnes qui devancent les autres et présentent une demande d'asile au Canada après avoir eu la possibilité de le faire dans un pays sécuritaire et démocratique», a déclaré le ministre de l'Immigration Jason Kenney, dans un communiqué.

Mais d'après le député libéral Denis Coderre, qui a signé l'Entente en 2002, le gouvernement vient de se priver d'un moyen de faire respecter ses valeurs et d'appliquer sa propre politique en matière d'affaires étrangères, dans des cas où il a des divergences avec les États-Unis.

«En enlevant le caractère plus spécifique en ce qui a trait aux exemptions, on enlève du lustre à l'entente», a-t-il fait valoir en entrevue avec La Presse Canadienne.

La directrice du Conseil canadien pour les réfugiés, Janet Dench, va beaucoup plus loin. À son avis, les conservateurs sont en train de «mettre leur empreinte sur la politique» canadienne envers les immigrants et les réfugiés en leur tournant le dos.

«Dans les faits, ce qu'ils sont en train de faire, c'est de fermer radicalement la porte sur les réfugiés. Et en même temps, il y a un discours qui l'accompagne qui encourage les Canadiens à réagir de façon négative envers les réfugiés, envers ceux et celles qui demandent notre protection.»

Ces changements à la politique canadienne envers les demandeurs d'asile surviennent en effet moins de deux semaines après l'annonce de l'imposition de visas pour les visiteurs mexicains et tchèques.