Il y a cinq ans aujourd'hui, les Canadiens élisaient le premier gouvernement minoritaire en 25 ans. Et si des élections fédérales avaient lieu aujourd'hui, les Canadiens éliraient un autre gouvernement minoritaire - libéral ou conservateur -, selon les derniers sondages.

Il s'agirait alors du quatrième gouvernement minoritaire de suite, un record dans l'histoire du pays. Les partis politiques qui rêvent aujourd'hui d'obtenir une majorité des sièges à la Chambre des communes devront vraisemblablement continuer... à en rêver pour le moment.

 

Si aucun observateur n'ose prédire combien de temps durera l'instabilité à Ottawa, plusieurs s'entendent pour dire qu'un gouvernement minoritaire aux Communes sera la norme tant que le Bloc québécois demeurera une force politique imposante au Québec.

«Aussi longtemps qu'il y a aura un Bloc québécois fort, les chances d'élire un gouvernement minoritaire demeureront élevées», affirme Goldy Hyder, un stratège conservateur influent. «Et il y a aussi le Parti vert qui commence à prendre des forces et à s'approprier une partie de la tarte», ajoute-t-il.

«Pour les deux grands partis politiques - le Parti libéral et le Parti conservateur -, la possibilité de former un gouvernement majoritaire à court terme est très faible. Nous sommes un peu dans un cul-de-sac», soutient Robert Asselin, directeur associé de l'École supérieure d'affaires publiques internationales à l'Université d'Ottawa

«Tout dépendra des succès du Bloc québécois à l'avenir. Si un des deux partis fédéralistes réussit à séduire assez d'électeurs qui ont appuyé le Bloc depuis 1993, il pourrait former un gouvernement majoritaire. Mais pour l'heure, le Bloc reste une entité très forte au Québec francophone», ajoute-t-il.

Depuis sa création, le Bloc québécois a toujours remporté la majorité des 75 sièges que compte le Québec aux Communes. Jean Chrétien a réussi à former un gouvernement majoritaire aux élections de 1993, de 1997 et de 2000 malgré la présence du Bloc québécois. Mais le petit gars de Shawinigan pouvait miser sur une division du vote entre deux partis de la droite - le Parti réformiste (qui est devenu l'Alliance canadienne en 2000) et le Parti progressiste-conservateur.

Grâce à cette division, le Parti libéral a pu balayer l'Ontario à trois reprises, remportant la presque totalité de la centaine de sièges que compte cette province aux Communes. Mais cet avantage a vite disparu dès que l'Alliance canadienne et le Parti progressiste-conservateur ont uni leurs forces sous une seule bannière, le Parti conservateur, en 2003. Et à partir de 2004, l'ère des gouvernements minoritaires a commencé.

Selon l'ancien député bloquiste Richard Marceau, les partis fédéralistes doivent faire un sérieux examen de conscience avant de blâmer le Bloc québécois pour l'instabilité politique à Ottawa.

«Même si on ne sent pas l'option souverainiste en pleine effervescence, il n'en demeure pas moins que cela fait six fois de suite que l'on envoie une majorité de députés du Bloc à la Chambre des communes. Cela veut dire que le message que les Québécois envoient depuis 1993 n'a pas encore été entendu. Les Québécois ne veulent peut-être pas de la souveraineté à l'heure actuelle, mais ils ne se satisfont pas du statu quo non plus», affirme Richard Marceau, député de Charlesbourg de 1997 à 2006.

Selon lui, pour sortir de l'ère des gouvernements minoritaires, il faudra un effondrement du Bloc au Québec ou un changement de la culture politique au pays qui donnera naissance à des gouvernements de coalition.

Historiquement, les gouvernements minoritaires ont réussi à accomplir de grandes choses. Lester B. Pearson était à la tête d'un gouvernement minoritaire lorsqu'il a créé le système universel de soins de santé ou encore le régime de pensions. Il avait alors l'appui du NPD.

Si certains espéraient obtenir des résultats comparables des gouvernements minoritaires élus depuis 2004, ils ont vite déchanté.

«Le consensus au Canada était que les gouvernements minoritaires pouvaient réaliser de grandes choses. Mais aujourd'hui, on ne peut en dire autant. Les gouvernements minoritaires sont devenus des problèmes. Il y a trop de partisanerie et trop d'instabilité. Il est ainsi difficile de s'attaquer à des gros défis», affirme Scott Reid, ancien directeur des communications de l'ex-premier ministre Paul Martin.

Selon M. Reid, un gouvernement minoritaire aura beaucoup de difficulté à s'attaquer à la lourde tâche d'éliminer le déficit, qui dépassera les 50 milliards de dollars en 2009-2010. «Dans le passé, les partis politiques étaient contraints de travailler ensemble dans un Parlement minoritaire. Mais les cinq dernières années ont démontré que les partis politiques sont constamment en état d'alerte pour partir en élections.»

Le stratège Goldy Hyder croit aussi qu'un gouvernement minoritaire est problématique à l'heure actuelle en ces temps de crise économique. Et les électeurs pourraient être tentés par un retour à la stabilité politique en élisant un gouvernement majoritaire.

Le sondeur Nik Nanos affirme que l'instabilité qu'entraîne un gouvernement minoritaire pourrait même devenir un enjeu d'une campagne électorale. «Les électeurs pourraient se lasser des gouvernements minoritaires, surtout en cette période de ralentissement économique. Les gens voient les choses différemment quand il y a des batailles politiques aux Communes dans le contexte économique actuel.»

 

Gouvernements minoritaires

Depuis le début de la Confédération, il y a eu 13 gouvernements minoritaires à Ottawa. Voici les premiers ministres qui ont dirigé des gouvernements minoritaires.

1. William Lyon Mackenzie King (1921, 1925 et 1926)

2. Arthur Meighen (1926)

3. John Diefenbaker (1957 et 1962)

4. Lester B. Pearson (1963 et 1965)

5. Pierre Elliott Trudeau (1972)

6. Joe Clark (1979)

7. Paul Martin (2004)

8. Stephen Harper (2006 et 2008)