À l'aube d'une crise majeure d'approvisionnement en isotopes médicaux, alors que la ministre responsable se retrouve sur la sellette, que sa démission est réclamée de toutes parts et qu'elle doit s'excuser d'avoir fait des commentaires inappropriés, le premier ministre Stephen Harper affirme sans détour que le Canada se retirera de la production de ces précieux atomes nécessaires aux diagnostics et traitements du cancer.

«Nous anticipons que le Canada, éventuellement, se retirera de cette industrie», a dit M. Harper, interrogé sur les récents développements concernant le dossier du réacteur nucléaire de Chalk River, principal fournisseur international d'isotopes médicaux, en arrêt de production depuis la mi-mai.

Impossible, dit le premier ministre, de construire rapidement un nouveau réacteur nucléaire produisant des isotopes, et comme celui de Chalk River est «très vieux» - il a 50 ans -, il devient de plus en plus vulnérable aux arrêts de production qui se multiplieront, mais demeurent «imprévisibles», estime M. Harper, blâmant au passage l'ancien gouvernement libéral pour son échec dans le dossier.

«C'est la réalité. Il y a des problèmes à cause de son âge, malgré les investissements pour les réparations. On ne peut pas contrôler cette situation. Si on doit fermer ce réacteur pour des raisons de santé publique, on doit le faire, on n'a pas le choix, a souligné le premier ministre, en fin d'après-midi, hier. Nous avons décidé d'investir davantage d'argent dans le réacteur actuel pour le maintenir en activité le plus longtemps possible pendant que d'autres sources d'approvisionnement se mettent en branle au niveau international.»

En attendant, a ajouté M. Harper, les ministres des Ressources naturelles et de la Santé s'activent à chercher, à la fois d'autres sources d'approvisionnement en isotopes et aussi des «traitements alternatifs».

«Je ne promettrai pas une solution rapide à la question, il n'y en aura tout simplement pas. Même l'injection de centaines de millions de dollars ne créera pas une solution rapide», a-t-il dit à l'issue d'une journée forte en rebondissements dans le dossier.

Excuses

Après avoir résisté plus de 24 heures à la pression du public et de l'opposition, la ministre des Ressources naturelles, Lisa Raitt, a finalement cédé et présenté des excuses empreintes d'émotion aux victimes du cancer et à leur famille, hier midi, pour avoir tenu des propos controversés qui ont été mal interprétés, selon elle.

Lors d'une conversation privée, enregistrée à son insu, la ministre Raitt avait qualifié la crise des isotopes médicaux de «sexy».

Sous l'oeil attentif de membres de l'entourage immédiat de M. Harper, la ministre a convoqué les médias à une demi-heure d'avis pour lire une courte déclaration.

«Je tiens à présenter mes excuses à tous ceux qui ont pu se sentir offensés par mes paroles, a dit la ministre. Mon intention n'était certainement pas de manquer de respect aux victimes du cancer, ni aux survivants de cette terrible maladie, non plus qu'à leurs familles.»

La voix tremblante, cherchant ses mots et retenant visiblement ses larmes, Mme Raitt a rappelé que son propre père est mort d'un cancer du côlon alors qu'elle était âgée de 11 ans. Son frère a lui aussi succombé à un cancer, du poumon, 20 ans plus tard.

Outrée par les propos privés de la ministre, l'accusant d'arrogance, l'opposition avait réclamé à grands cris, mardi, sa démission.

Hier, le ton avait changé à la Chambre des communes. Mais si les trois partis de l'opposition ont bien reçu les excuses de la ministre, ils ont tous réitéré qu'elle devait quitter ses fonctions, jugeant qu'elle a très mal géré la pénurie appréhendée.

«Selon de nombreux spécialistes en médecine nucléaire, la crise des isotopes était prévisible. La ministre des Ressources naturelles a fait preuve de négligence, a lancé le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe. Comment le premier ministre peut-il justifier de garder en place la ministre, alors que tous les experts la jugent incompétente?»

Selon le critique libéral en matière d'énergie, David McGuinty, Mme Raitt «a laissé la crise dégénérer», mettant maintenant la santé des Canadiens en danger, notamment celle d'enfants souffrant du cancer.

En Chambre, la ministre a essuyé les attaques de ses adversaires, comme elle l'avait fait toute la semaine. «Nous avons été en contact avec l'industrie concernant l'approvisionnement d'isotopes médicaux. Je peux vous dire que les hôpitaux recevront la semaine prochaine plus de 50% de leurs commandes, ce qui est nettement mieux que ce qui avait été anticipé», a annoncé la ministre Raitt.

Rien pour satisfaire l'opposition, toutefois. «Quand elle dit que 50% des isotopes essentiels pour les Canadiens seront disponibles, ça veut dire que ça laisse 50% de ceux et celles qui souffrent sans aide de la part du gouvernement, a rétorqué le chef du NPD, Jack Layton. Ni la ministre ni le gouvernement ne semblent comprendre l'ampleur de la crise.»

La semaine dernière, la ministre Raitt s'était aussi retrouvée sur la sellette lorsque sa directrice des communications, âgée de 26 ans, a été contrainte de remettre sa démission pour avoir oublié des documents sensibles concernant le réacteur nucléaire de Chalk River dans les bureaux d'Ottawa de la station de télévision CTV. C'est la même employée qui a égaré, il y a plusieurs mois, l'enregistreuse contenant les conversations compromettantes dont le contenu a été révélé cette semaine par un journaliste du Chronicle Herald d'Halifax, qui s'est retrouvé en possession de l'appareil.

Raitt a aussi son opinion sur Prentice

La ministre des Ressources naturelles, Lisa Raitt, soupçonne son collègue responsable de l'environnement, Jim Prentice, d'avoir détourné des fonds prévus pour l'industrie éolienne vers celle des sables bitumineux, selon le quotidien The Chronicle Herald, d'Halifax, qui a révélé, cette semaine, les propos controversés que la ministre a tenus dans une conversation privée sur la crise des isotopes.

Lors de la même conversation avec son attachée de presse de l'époque, enregistrée par mégarde en janvier dernier, la ministre Raitt pourfend son collègue de l'Alberta, alléguant qu'il a délibérément supprimé des fonds à l'industrie éolienne pour les rediriger vers un fonds de recherche et développement dédié aux sables bitumineux. «Je ne sais pas ce qui est arrivé. Je soupçonne Jim d'avoir pris l'argent pour son plan d'énergie propre», cite le quotidien de la Nouvelle-Écosse.

Au bureau du ministre Prentice, on n'a pas voulu commenter ces nouvelles allégations. «L'enregistrement perdu par l'ancienne attachée de presse de la ministre Raitt est un sujet qui concerne le cabinet de la ministre», s'est-on contenté de répondre.