La procréation assistée se rapproche-t-elle plus de la salubrité des confitures ou d'une greffe d'organes? Les audiences sur le renvoi constitutionnel du Québec sur la procréation assistée ont donné lieu, hier matin, à des analogies, parfois étranges, pour tenter de démêler où s'arrête la juridiction fédérale et où commence celle des provinces.

Québec a contesté avec succès l'an dernier, devant la Cour d'appel, la constitutionnalité de la Loi fédérale sur la procréation assistée, adoptée par les Communes en 2004. Cette loi comporte deux volets: elle définit les actes interdits en procréation assistée (comme le clonage humain et la vente d'embryons) et en réglemente d'autres (comme le remboursement de frais à des mères porteuses ou à des donneurs de gamètes, la tenue des dossiers médicaux, le consentement des parties). C'est ce dernier volet que Québec conteste devant les tribunaux, parce qu'il réglemente des actes médicaux qui sont de juridiction provinciale. La Cour d'appel lui a donné raison, en comparant la loi à un «cheval de Troie» parce qu'elle permettait au fédéral d'envahir tout un champ de compétences provinciales.

 

Hier matin, devant les neuf juges de la Cour suprême, Ottawa a défendu sa position. La procréation assistée soulève des questions éthiques importantes et ses dérives sont bien réelles, a plaidé le procureur René LeBlanc, d'où l'importance d'imposer des règles pour tout le pays. Il a donné en exemple la nécessité de limiter le nombre d'embryons transférés, en citant la naissance récente et controversée d'octuplés en Californie grâce à la procréation assistée. Les grossesses multiples posent un risque pour la santé de la mère et des bébés, a-t-il rappelé.

La décision du médecin californien a été dénoncée, mais le Canada ne semble pas exempt d'expériences du genre. Me Leblanc a cité un rapport de 2005 de la Société canadienne de fertilité et d'andrologie qui indique que cette année-là, le nombre d'embryons transférés dans un utérus a varié de 1 à 13. «Si on a trouvé choquant ce qui est arrivé en Californie, on sait qu'au Canada, dans au moins un cas, 13 embryons ont été implantés, avec tous les risques que ça comporte.»

Le fédéral réglemente déjà des activités sans que cela n'entre en conflit avec le droit criminel. Même la commercialisation des confitures, a plaidé Me LeBlanc, est soumise à des règlements de Santé Canada. «Et là, il n'est pas question de confiture ou de lits de bébés, mais de la création de la vie humaine», a dit l'avocat. «On peut envisager un règlement sur la sécurité des casques de vélo et on ne peut pas le faire pour les ovules et les embryons? Ça dépasse mon entendement.»

La procureure du Québec, Jocelyne Provost, a souligné que si Ottawa tenait à imposer une législation d'un océan à l'autre, c'est parce qu'il craignait que les provinces ne s'en chargent pas. Ce qui est faux, dit-elle. Le droit criminel doit prévenir le mal en soi - comme le clonage humain, pour lequel il y a consensus -, mais les actes réglementés par la Loi sur la procréation assistée relèvent davantage du traitement médical. Et c'est à chaque province de réglementer comme elle l'entend les actes qui ne sont pas interdits. «Il y aura toujours un risque (aux traitements médicaux). On va criminaliser les hôpitaux? Il y a des interventions beaucoup plus risquées (que la procréation assistée).»

Le procureur fédéral n'a pas manqué de noter que l'Ontario et la Colombie-Britannique, qui comptent à elles seules 18 des 28 cliniques de fertilité au pays, ne se sont pas jointes au renvoi mené par le Québec, appuyé par le Nouveau-Brunswick, l'Alberta et la Saskatchewan. La Cour a pris la cause en délibéré.