Éclaboussé par le tollé soulevé par l'organisation puis l'annulation d'une reconstitution historique de la bataille des plaines d'Abraham, le président du conseil d'administration de la commission responsable de l'événement, André Juneau, démissionnera de son poste si le ministre du Patrimoine canadien, James Moore, le lui demande.

Le Bloc québécois a réclamé, hier, la démission de M. Juneau, estimant qu'il avait manqué de jugement en planifiant une commémoration « célébrant » la défaite des troupes françaises aux mains des Anglais, à Québec, en 1759.M. Juneau, qui se présentait devant les parlementaires hier pour expliquer son projet de reconstitution, finalement annulé la semaine dernière, a rejeté la requête du Bloc, mais n'exclut pas de se plier à une telle consigne si elle venait du gouvernement conservateur.

«Je ne démissionnerai pas parce que le Bloc le demande. Je viens d'écrire au ministre, si le ministre me demande de quitter pour des raisons qu'il juge à propos, ça me fera plaisir de répondre oui à sa demande. Mais pas parce que le Bloc me le demande, ça, c'est certain», a dit M. Juneau, à l'issue de son passage devant le comité du Patrimoine.

Réaction-surprise

Les raisons qui ont amené son organisme à annuler l'événement prévu pour commémorer le 250e anniversaire de la bataille des Plaines sont de deux ordres, a-t-il expliqué : il craignait les menaces contre la sécurité, mais il a aussi senti que l'opinion publique était trop partagée.

Surtout, dit-il, c'est le fait d'avoir été largué par les politiciens qui a causé la mort du projet de reconstitution.

«Ça nous a surpris, a-t-il souligné. On ne s'attendait pas à un appui inconditionnel, mais à un dialogue plus sensé. Quand c'est devenu politique, tu ne peux pas répondre à ça.» M. Juneau a toutefois reconnu qu'il avait sous-estimé la « sensibilité » de la question.

Tour à tour, les politiciens québécois et canadiens, sauf rares exceptions, se sont distancés de cette commémoration, vu la grogne suscitée dans la population, notamment dans les mouvements souverainistes.

Le cinéaste Pierre Falardeau avait ouvert le bal en annonçant son intention de perturber les célébrations. M. Juneau a précisé devant le comité que sur les 150 courriels de « menaces » reçus à la Commission des champs de bataille nationaux (CCBN), seuls deux ont poussé les autorités policières à faire enquête.

La controverse soulevée depuis le mois de janvier a contraint le président de la CCBN, M. Juneau, à revoir considérablement la programmation du 250e anniversaire. Outre la reconstitution costumée de deux batailles historiques, le bal masqué, que les opposants avaient jugé trop «festif» a aussi été annulé.

Foire d'empoigne

Le passage de M. Juneau devant le comité du Patrimoine de la Chambre des communes, hier, a rapidement tourné à la foire d'empoigne entre conservateurs et bloquistes. Les députés du Parti conservateur ont accusé le Bloc québécois de financer les « extrémistes » qui ont menacé de perturber les événements organisés par la CCBN sur les Plaines. Ils montraient du doigt le journal indépendantiste Le Québécois et son directeur, Patrick Bourgeois, qui a tenu des propos jugés « violents » concernant le projet de reconstitution. Depuis, le Bloc et le Parti québécois ont demandé à leurs députés de ne plus acheter de publicités dans ce journal.

Mais de nouveau, les conservateurs ont paru divisés sur la question de la tenue de l'événement. Après la ministre Josée Verner, qui avait défendu bec et ongles le projet de reconstitution, et les ministres Jean-Pierre Blackburn et Christian Paradis, qui s'en étaient dissociés, promettant de ne pas participer aux activités controversées, le député de Charlesbourg-Haute-Saint-Charles, Daniel Petit, a reproché au Bloc québécois de nuire aux intérêts économiques de la ville de Québec en ayant contribué à l'annulation de l'événement. « Ma région devra faire une croix sur des millions de dollars en revenus touristiques à cause d'eux », a dit M. Petit en Chambre.

Le Bloc québécois a quant à lui critiqué toute la journée une activité «éducative» proposée par la CCBN aux enfants d'âge primaire et secondaire.

«Enrôlez-vous comme milicien canadien avec le général Wolfe ou le général Montcalm et participez à de palpitantes manoeuvres militaires», propose le site internet de la Commission. Cette ingérence dans un champ de compétence du Québec (l'éducation) a soulevé la colère des bloquistes, attisée par l'organisme Impératif français et la Société Saint-Jean-Baptiste, qui avaient tous deux dénoncé l'activité mardi.

«Ils n'ont pas d'affaire, le fédéral, dans les écoles du Québec, a dit le chef bloquiste, Gilles Duceppe. Deuxièmement, l'utilisation des armes, des photos des jeunes avec des armes dans les mains, on parle d'enfants qui ont 11 ans et moins, je pense que c'est complètement aberrant.»

En comité parlementaire, M. Juneau a rétorqué que cette activité existait depuis plus de 15 ans, en collaboration avec le ministère de l'Éducation du Québec, même sous les gouvernements péquistes, et que plus de 180 000 enfants y ont déjà participé. Le taux de satisfaction de l'activité, a-t-il ajouté, est de 99,2 %.