Les efforts des Canadiens qui se sont fait rebattre les oreilles avec le fameux «déficit zéro» dans les années 1990 pourraient désormais apparaître presque vains aux yeux de ceux qui en ont fait les frais à l'époque.

Le budget fédéral qui sera déposé mardi, au lendemain de la rentrée parlementaire à Ottawa, prévoit un déficit de 64 milliards $ pour les deux prochaines années, effaçant d'un coup l'ensemble des remboursements de la dette qui ont eu lieu ces dernières années.Sous le couvert de l'anonymat, un proche de Stephen Harper a par ailleurs révélé qu'il faudra attendre cinq ans avec de revoir un budget équilibré.

Les syndicats s'interrogent désormais sur la portée de ces nouveaux déficits à vernir. Mais attention, préviennent-ils. Ce n'est pas parce que les travailleurs ont été parmi ceux qui ont fait des sacrifices pour vaincre le déficit, il y a une quinzaine d'années, qu'ils sont désormais de ceux qui réclament un budget équilibré à tout prix.

«Nous pensons qu'en temps de récession économique, les déficits sont inévitables», a indiqué Paul Moist, président du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP). La somme de 34 milliards $ avancée par le collaborateur de M. Harper ne lui paraît pas si énorme, compte tenu des circonstances difficiles dans laquelle se trouve l'économie.

«Je ne vois pas comment il pourrait ne pas y avoir de déficit, ce serait probablement la pire des situations», a renchéri la président de la Confédérations des syndicats nationaux (CSN), Claudette Carbonneau, qui attend le budget avec impatience pour voir quelles mesures auront été prises par les conservateurs pour la relance économique.

Pour lutter contre le déficit dans les années 1990, le gouvernement libéral de l'époque avait effectué d'importantes compressions dans plusieurs programmes. Les conditions d'admissibilités aux prestations d'assurance-emploi avaient été resserrées et plus de 50 000 postes dans la fonction publique fédérale avaient été coupés.

Les mesures avaient finalement porté fruit en 1998 quand Paul Martin, alors ministre des Finances sous Jean Chrétien, avait déposé un premier budget fédéral excédentaire en 28 ans.

La dette fédérale s'élève désormais à 457 milliards $. Avec les déficits annoncés pour les deux prochaines années, cette somme bondira de près de 15 pour cent.

Tombera ou pas?

C'est avec en trame de fond ces fuites gouvernementales sur l'ampleur des déficits prévus que reprennent lundi les travaux parlementaires à Ottawa.

Si la politique fédérale est aussi riche en rebondissements cet hiver qu'elle ne l'a été avant Noël, les Canadiens pourraient bien goûter à d'autres coups de théâtre liés à la nature minoritaire du gouvernement.

Stephen Harper a dû fermer à la hâte le Parlement en décembre, menacé d'être renverser par une coalition jurant être prête à le défaire au premier moment. S'il espérait calmer les esprits en demandant la prorogation de la session, le chef conservateur a gagné son pari.

Car bien de l'eau a coulé sous les ponts depuis qu'il a mis la clé sous la porte de la Chambre des communes.

L'opposition officielle a un nouveau chef, plus rassembleur, mais aussi moins chaud à l'égard de la coalition conclue avec le Nouveau Parti démocratique (NPD), appuyée par le Bloc québécois.

Stéphane Dion entendait remplacer M. Harper à moins d'un «changement monumental», mais son successeur Michael Ignatieff est plus modéré. Il veut attendre de voir le budget que déposera le ministre des Finances Jim Flaherty mardi avant de signer l'arrêt de mort soit du gouvernement Harper, soit de la coalition.

«Une coalition reste une possibilité, elle reste sur la table. La seule chose que j'ai dit, c'est que je crois que c'est une responsabilité politique de lire le budget avant de le voter», indiquait M. Ignatieff la semaine dernière à Montréal. Selon lui, l'opinion publique lui demande d'accorder au premier ministre «une dernière chance de regagner la confiance de la Chambre».

La position du NPD, elle, est beaucoup plus tranchée. À moins d'un miracle qu'ils n'espèrent plus, les néo-démocrates voteront contre le budget. Leur leader, Jack Layton, a justifié cette décision en affirmant que, de toute façon, il avait «perdu confiance en la capacité de M. Harper de livrer ce dont les Canadiens ont besoin».

Le Bloc Québécois de Gilles Duceppe se situe entre les deux, a indiqué son leader parlementaire Pierre Paquette en entretien téléphonique.

«On a très peu d'espoir de retrouver dans le budget ce qu'on attend. Ceci dit, si M. Harper a compris le message de la population (...), peut-être que le bon sens aura triomphé. On va le savoir mardi», a-t-il expliqué.

Les électeurs à travers le pays risquent de pousser un soupir d'exaspération s'ils sont plongés à nouveau dans une campagne électorale, trois mois à peine après avoir reporté M. Harper à la tête du pays. Pourtant, le scénario n'est pas complètement impossible.

Si la coalition décide de voter contre le budget, la gouverneure générale devra décider si elle dissout la Chambre et provoque de nouvelles élections ou si elle confie les rênes du pouvoir à M. Ignatieff.

Mais avant d'être confrontée à ce choix, Michaëlle Jean attendra de constater si le budget satisfait ou non la coalition.