Comme Kathleen Weil l'a avoué aux électeurs de Notre-Dame-de-Grâce: un de ses grands plaisirs, dans la vie, c'est de se retrouver le dimanche matin à l'aréna pour regarder la dernière de ses quatre enfants jouer au hockey tout en jasant de la performance du Canadien la veille. Autant dire que, depuis sa nomination à la tête de la Justice, la hockey mom en elle est rentrée dans le placard tandis que la nouvelle ministre passe ses dimanches matin plongée dans ses dossiers. Portrait d'une passionnée de la politique qui n'hésite jamais à sortir de sa zone de confort.

Kathleen Weil a une mémoire d'éléphant. Elle se souvient de chaque petit détail et de chaque événement qui s'est passé hier ou il y a 40 ans. Elle se souvient de Jean Charest poussant son chariot d'épicerie un dimanche soir au Metro de son quartier alors qu'il n'avait pas encore été élu. De Bernard Landry, égaré au 1, place Ville-Marie, ne sachant pas que son bureau de chef de l'opposition était au 15e étage. De ses cours de sciences po à McGill avec Daniel Latouche et Charles Taylor. De ses stages à l'aide juridique dans Hochelaga-Maisonneuve. Et de la fois où son père l'a envoyée cogner à la porte de l'historien communiste Stanley Ryerson, à deux pas de leur maison, dans le ghetto McGill, pour lui poser une question. Elle se souvient que, pour donner un peu de répit à sa mère, Mary Rosamond, son père, le médecin Paul Weil, partait régulièrement avec une poignée de ses sept enfants faire des visites à domicile à Verdun ou à Pointe-Saint-Charles.

 

Elle se souvient enfin d'un cours d'anglais au chic collège Marie-de-France, où elle et moi avions fait une présentation sur le chanteur américain James Taylor. Armées du vieux tourne-disque de Kathleen et de la recherche que nous avions courageusement effectuée sans l'aide de l'internet, la future ministre de la Justice et moi-même avions présenté à la classe une analyse psychosociale sans doute palpitante de la chanson Fire and Rain.

Je n'avais aucun souvenir de cette scène, que Kathleen m'a rappelée au téléphone, 48 heures avant notre rencontre. Mais plus elle m'en parlait, plus les images me revenaient, y compris cette image d'elle à 14 ans, ses longs cheveux noirs attachés, grande, sportive, jolie mais moins qu'aujourd'hui, un brin timide, mais toujours chaleureuse, parlant un impeccable français teinté d'une légère trace d'anglais et brillant immanquablement au tableau d'honneur de fin d'année, sauf l'année du grave accident de ski qui l'a confinée à son lit d'hôpital pendant trois mois, après une importante opération aux jambes et à un genou. Absente pour tout un semestre à Marie-de-France, elle était revenue fragile, mais convaincue qu'elle était encore la plus rapide. Pourtant, en s'élançant sur la piste de course, cette éternelle gagnante avait trébuché et s'était retrouvée par terre, les quatre fers en l'air, honteuse, blessée dans son orgueil et pleurant toutes les larmes qu'elle retenait depuis trop longtemps.

Une anglo francisée

Contrairement à plusieurs filles qui supportaient mal la discipline et la rigidité du système français, Kathleen s'y sentait parfaitement à l'aise. «Il faut dire que, avec sept enfants à la maison, un père médecin et une mère qui travaillait à temps plein comme relationniste au Royal Vic, c'était un peu le chaos. Un chaos joyeux, mais qui renforçait mon besoin de solitude et de discipline», me raconte celle qui, adolescente, s'enfermait tous les samedis matin dans sa chambre pour faire systématiquement ses devoirs jusqu'à midi.

Depuis sa nomination à la tête du ministère de la Justice, on a fait grand cas des origines et de la culture anglo de Kathleen Weil. Et si c'est vrai qu'elle vit à Westmount, dans un milieu anglo, avec son mari Michael Novak, VP de SNC Lavalin, ses amies d'enfance sont pour la plupart francophones. Marie-de-France, où elle est restée jusqu'en terminale, l'a à ce point francisée que, en arrivant à McGill, elle a rédigé ses premiers travaux en français.

L'autre ombre qui plane au-dessus de son auréole de candidate idéale, c'est son engagement à Alliance Québec, où, de 1985 à 1998, elle a occupé un poste de direction aux affaires juridiques et gouvernementales. Ce qui inquiète, évidemment, c'est que, au moment où le délicat dossier linguistique se retrouve en cour, le premier ministre vient de nommer à la tête de la Justice une ministre peut-être charmante, mais qui a néanmoins milité contre la loi 101.

Un milieu d'apprentissage

Qu'en pense la principale intéressée? Et, surtout, regrette-t-elle son passé de militante?

«Non, pas du tout. J'ai énormément appris de mon expérience. Il faut dire que c'était une époque très particulière. Les gens essayaient d'établir un dialogue, de bâtir des ponts et de donner à la communauté anglophone les outils nécessaires pour jouer un rôle de premier plan. Et puis, c'est là que j'ai rencontré des gens comme John Parisella, Michael Goldbloom, Bob Keaton, Jeff Kelley. Tout cela a été un apprentissage et aussi une façon de gagner ma vie», raconte-t-elle en cherchant discrètement à atténuer son rôle dans toute l'affaire.

À l'époque, elle avait déjà deux filles, Juliane et Katrina. Daniel, son unique garçon, était sur le point de naître. Tout en s'occupant de son petit monde à la maison, elle s'est alors lancée dans le bénévolat pour les centres jeunesse, ce qui l'a menée à la régie régionale de la santé et des services sociaux, d'abord comme membre du CA, puis comme présidente. Aujourd'hui, cela fait d'elle une femme sensible aux malades, aux vieux et aux démunis, mais aussi une ministre de la Justice qui a très bien connu Pauline Marois, alors ministre de la Santé. «J'ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec Pauline, puis plus tard avec Agnès Maltais et Camil Bouchard, dit-elle. On me voit peut-être comme une anglo de Montréal, mais, moi, j'ai toujours voulu sortir de ma zone de confort et aller jouer de l'autre côté de la clôture. C'est comme ça que j'ai été élevée.»

Un retour aux sources

Reste que, la veille de sa nomination, Kathleen était loin de se douter qu'elle allait sortir à ce point de sa zone de confort. Elle a pris le bus pour Québec, sa Presse sous le bras.

«Je n'avais pas d'attentes, mais je sentais les attentes des autres. Je me suis mise à lire Denis Lessard, qui écrivait que j'irais peut-être à la Famille. Je n'osais pas trop y croire. Puis, quand j'ai lu que la Justice demeurait un mystère, je me suis machinalement mise à chercher qui pourrait bien y être nommé. Jamais dans 100 ans je n'ai cru que ce serait moi. Le lendemain, quand le premier ministre m'a annoncé qu'il me nommait à la Justice, je suis restée bouche bée. En même temps, j'étais tellement honorée et heureuse de revenir à mes sources: le droit. C'est sûr qu'après, j'ai eu un petit moment de doute. Je me suis demandé si j'étais assez compétente. Mais quand j'ai appris que j'avais été nommée pour mon jugement et ma polyvalence, cela m'a rassurée.»

Kathleen Weil avait été courtisée deux fois déjà par les libéraux avant de finalement faire le saut l'automne dernier. Le moment était propice. Élisabeth, sa dernière, avait 13 ans et pouvait se passer de sa hockey mom quelques jours par semaine. Quant à cette dernière, après huit ans à la tête de la Fondation du Grand Montréal, elle avait le sentiment d'avoir fait le tour du jardin. «J'étais mûre pour un nouveau défi. Je ne pensais jamais qu'il serait aussi grand que celui-là, mais ça ne m'angoisse pas trop. De toute façon, j'ai toujours travaillé comme une folle. Les longues heures, ça ne me fait pas peur. Quand je ne travaille pas fort, je m'ennuie.»

Autant dire que mon ancienne camarade de classe ne risque pas de s'ennuyer pendant les prochains mois. Elle n'a pas de plan d'action précis, sinon de repérer deux ou trois dossiers qu'elle veut piloter en collaboration avec son équipe. L'accès de la classe moyenne à la justice semble lui tenir à coeur.

Pour le reste, en la voyant, je ne peux pas m'empêcher de penser à la jeune fille que j'ai connue à 14 ans, performante, perfectionniste, ambitieuse, orgueilleuse, mais aussi charmante, chaleureuse, droite, ouverte d'esprit et, en fin de compte, pas si différente de ce qu'elle est aujourd'hui. Je peux me tromper mais, bien franchement, je trouve rassurant de savoir que c'est elle, la ministre de la Justice.