Le tribunal de l'immigration a accepté pour une rare fois, lundi, d'ouvrir au public une audience de statut de réfugié. On y entendait un demandeur au dossier hors de l'ordinaire: ancien trafiquant d'héroïne kosovar devenu informateur pour le FBI, l'homme a demandé au Canada de l'accueillir, car sa collaboration dans la lutte contre le terrorisme islamiste l'a mis en danger de mort dans son pays natal.

L'homme aux nombreux tatouages guerriers, dont le vrai nom est protégé par une ordonnance légale, mais qui se fait surnommer «Abu», a quitté son Kosovo natal pour s'installer à New York avec sa famille à la fin des années 90. Il a frayé là-bas avec le crime organisé de souche balkanique et s'est fait arrêter pour complot et trafic d'un kilo d'héroïne.

La preuve démontre que, pour réduire sa sentence, il a accepté de plaider coupable et de devenir informateur pour le FBI et pour la DEA, l'agence fédérale antidrogue américaine.

Il a fourni de l'information dans des dossiers de trafic de drogue, mais aussi dans au moins une enquête confirmée sur un suspect de terrorisme mêlé à la filière pakistanaise de l'héroïne.

Un juge américain qui s'est penché sur son dossier a souligné l'aide qu'il a apportée aux autorités. «Sa collaboration est excellente, selon ce que le gouvernement m'a laissé entendre dans deux lettres», a-t-il écrit dans son jugement.

Chapitre nébuleux

Après avoir purgé sept années de prison, Abu a été expulsé vers le Kosovo. C'est là qu'a commencé le chapitre le plus nébuleux de son histoire.

Il a commencé à fréquenter les milieux fondamentalistes musulmans des Balkans et à multiplier les voyages vers le Pakistan, l'Arabie saoudite, l'Égypte, la Syrie et la Macédoine à leurs côtés, comme le démontrent de nombreuses photographies déposées en preuve dans son dossier.

Il ne peut pas le prouver, mais il jure qu'il collaborait encore avec les autorités américaines, cette fois sous la direction de la CIA, l'agence d'espionnage à qui il fournissait des détails sur les allées et venues des radicaux.

«Quand j'ai été expulsé vers le Kosovo, deux ou trois semaines après j'ai commencé ma coopération avec la CIA. La première rencontre a eu lieu à l'ambassade de Skopje [en Macédoine]», dit-il.

Faute de documents pour prouver ce volet de son travail d'informateur, son avocat, Me Stéphane Handfield, l'a longuement fait décrire, hier devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, son travail pour les services de renseignement américains.

«Ils ne lui ont pas donné un contrat, évidemment. Mais je pense que la Commission doit tenir compte de son aide, d'abord au FBI, puis à la CIA», dit-il.

Victime d'un attentat

«J'ai eu beaucoup de contacts avec des éléments radicaux et des membres d'Al-Qaïda», a témoigné le demandeur hier. Il a énuméré une longue liste de suspects de terrorisme qui sont ou étaient dans la ligne de mire des autorités américaines et a donné moult détails sur leurs activités.

Le travail s'est avéré dangereux, constate-t-il. En 2010, il a été victime d'un attentat et a été atteint d'une balle à une cuisse, dont il porte toujours la cicatrice bien visible. À partir de ce moment, il se croyait brûlé et abandonné par les autorités américaines.

«Je me suis senti trahi», dit-il. Ayant perdu confiance en Washington, il est alors parti pour le Canada avec un faux passeport, et est arrivé à Montréal. Il a demandé le statut de réfugié, car il craint que des assassins soient à ses trousses en Europe.

L'Agence des services frontaliers du Canada s'oppose à son acceptation, car il a été reconnu coupable de trafic de drogue aux États-Unis. Son avocat a toutefois bon espoir de démontrer qu'en plus de purger sa peine, il s'est racheté en faisant oeuvre utile.

Ce genre d'audience à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est habituellement tenue à huis clos, mais le demandeur dans ce dossier a accepté la présence des médias. Des avocats de Radio-Canada avaient d'ailleurs présenté une requête pour que les journalistes puissent être présents, en raison de l'importance du dossier pour l'intérêt public.

Le commissaire Haig Basmajian a pris la cause en délibéré.