Plus de 35 000 morts en 19 mois de guerre civile pèsent sur la Syrie. Mais même si le Canada emploie des mots très durs pour décrire la crise - «violent assaut», «massacre», «campagne de terreur» -, il n'a pas adopté de mesures exceptionnelles pour traiter en priorité la réunification des familles canado-syriennes, comme cela s'est déjà fait dans le cas d'Haïti ou du Liban. Les délais pour faire venir au Canada un membre de sa famille qui se trouve en Syrie peuvent actuellement s'étirer jusqu'à près de deux ans... Une situation intolérable pour deux futurs grands-parents de Montréal.

«Regardez...» Sur l'écran du téléphone intelligent, Amar Abdulaziz fait défiler des photos de famille. En mars dernier, dans la capitale syrienne, il a marié sa grande fille de 21 ans. Habibeh est magnifique dans sa robe blanche. Ici, elle embrasse son père. Là, elle danse avec son mari, Diaa Khalifeh. Et la dernière photo est l'image d'une échographie. Habibeh est enceinte de 5 mois. «C'est une fille», dit le futur grand-père.

Amar Abdulaziz, 45 ans, employé de la société de gestion de stationnements Vinci Park, soupire. La famille Abdulaziz, originaire de Damas, vit à Montréal depuis 2005. Habibeh Abdulaziz avait 14 ans à son arrivée. Elle a fait son cours secondaire à l'école Saint-Laurent et est citoyenne canadienne, comme sa jeune soeur et ses parents.

En mars 2011, au moment où les premières manifestations commençaient timidement à poindre dans le sud du pays, Habibeh est retournée à Damas et y a rencontré Diaa AlHaji Khalifeh. Le mariage a été célébré un an plus tard, pendant que Homs était pilonné par l'armée syrienne. À Damas, c'était encore calme.

Amar Abdulaziz était néanmoins soucieux. Après être rentré à Montréal, il a fait venir son père, sa soeur et ses deux neveux. «J'étais inquiet pour mon père. Ma mère est morte l'an dernier en Libye. Arrêt cardiaque, à cause de la guerre.»

Le cauchemar s'est poursuivi. Son beau-frère devait venir les rejoindre au Canada. «Mais il a disparu il y a trois mois. Probablement enlevé. J'ai appelé plusieurs personnes en Syrie pour savoir où il était. Ils m'ont dit: «Ne le cherche pas. Il est mort.»»

«Les enfants nous demandent pourquoi leur père est fâché parce qu'il ne leur parle plus au téléphone, dit M. Abdulaziz. Nous n'avons pas encore eu le courage de leur dire.»

Habibeh Abdulaziz, elle, est toujours à Damas, déterminée à ne pas revenir seule au Canada. «Quand je lui parle au téléphone, elle me dit: «Écoute ça!» J'entends les bombes, les tirs de mitraillette.» M. Abdulaziz et sa femme, Nahed Janous, ont supplié leur fille de rentrer à Montréal. Ils ont même réussi, l'été dernier, à la faire revenir en lui promettant que son mari la rejoindrait.

Après deux mois sans nouvelles du ministère de l'Immigration, Habibeh Abdulaziz en a eu assez. Elle est repartie à Damas en septembre, malgré les supplications de sa famille.

L'attente

Pourtant, la demande de parrainage envoyée au début de l'été a déjà été acceptée par Citoyenneté et Immigration Canada. Le dossier a été envoyé à l'ambassade du Canada en Jordanie, qui traite les demandes en provenance de la Syrie depuis la fermeture de l'ambassade à Damas. Il ne reste plus... qu'à attendre.

Le délai de traitement des dossiers à l'ambassade du Canada en Jordanie est actuellement de 19 mois, selon Citoyenneté et Immigration Canada. Et, malgré la gravité de la situation, le gouvernement n'a pas instauré de traitement prioritaire des demandes en provenance de la Syrie. Des mesures semblables avaient pourtant été adoptées pour le Liban en 2006, et après le séisme en Haïti en 2010.

«En 2006, quand il y a eu la guerre au Liban, le Canada a rapatrié toute la famille des Libanais canadiens, dit la mère de Habibeh, Nahed Janous. Pourquoi est-ce différent pour la Syrie?»

«Je comprends que le Canada ne puisse pas accueillir 23 millions de Syriens, dit M. Abdulaziz. Mais mon gendre est le père d'un enfant canadien! Pourquoi est-ce que ça ne bouge pas plus vite? Ma fille est enceinte de cinq mois. Elle n'a pas de médecin, elle va accoucher dans des conditions terribles...»