Familles privées de chèque durant des semaines, augmentation du nombre d'enquêtes, paperasse complexe à remplir: le gouvernement Harper prend les grands moyens pour détecter les fraudeurs du programme de prestation fiscale pour enfants, qui coûte plus de 2,6 milliards par année. Cette chasse cause bien des maux de tête aux contribuables ciblés, pour une récolte plutôt mince. La Presse a enquêté.

Rachel Brown était enceinte de huit mois, en mai dernier, quand une lettre de l'Agence du revenu du Canada (ARC) l'a plongée en plein cauchemar administratif.

Cette mère de 13 enfants, dont 7 ont moins de 18 ans, a alors appris que son compte du programme de prestation fiscale pour enfants - une aide du gouvernement fédéral - avait été choisi au hasard pour faire l'objet d'une vérification.

Les enquêteurs de l'ARC avaient exigé, deux mois plus tôt, que Rachel Brown et son mari Mike fournissent une série de documents prouvant qu'ils avaient bel et bien droit à l'aide financière d'Ottawa.

Débordés par leur famille nombreuse, ils ont négligé de fournir les documents réclamés par l'Agence. Leurs prestations ont été retenues durant un mois, le temps qu'ils rassemblent l'imposante documentation demandée par les vérificateurs du gouvernement. Les prestations ont par la suite été payées de façon rétroactive.

«On est mariés, on vit ensemble, on a eu tous nos enfants ensemble, et j'ai un mois pour prouver que nos enfants sont nos enfants!», affirme cette mère d'une famille hors de l'ordinaire, qui vit de l'aide sociale dans un HLM de Longueuil.

Un processus compliqué

Rachel Brown et son mari ne sont pas les seuls contribuables canadiens à avoir été dans la ligne de mire de l'ARC: l'agence fédérale a vérifié au hasard 181 543 comptes de la prestation fiscale pour enfants en 2010-2011 - une hausse de 14% en trois ans -, révèlent des données obtenues par le Nouveau Parti démocratique (NPD) grâce à la Loi sur l'accès à l'information.

En augmentant les efforts pour débusquer les fraudeurs, l'ARC affirme simplement mettre tout en oeuvre pour protéger les fonds publics.

Mais selon une travailleuse communautaire, les méthodes d'enquête du gouvernement ressemblent à de l'acharnement contre les contribuables les plus pauvres.

«Les gens qui font l'objet d'une enquête de l'Agence du revenu ont un mois pour fournir une très grande quantité de données, remontant à trois ans, sur chacun de leurs enfants. C'est un processus compliqué», explique Marie-Josée Sansoucy, coordonnatrice de la Maisonnette Berthelet, qui aide 500 familles à faible revenu de Longueuil.

«Quand leurs prestations sont coupées à cause d'une vérification du gouvernement, ces gens-là ne mangent pas à leur faim», ajoute-t-elle.

Mme Sansoucy affirme avoir aidé trois familles ciblées par les enquêteurs de l'ARC depuis le début de l'année 2012, dont celle de Rachel Brown. Dans tous les cas, les vérificateurs exigeaient une série de documents prouvant l'existence de chaque enfant, pour les trois dernières années: preuves de résidence (bail, compte d'Hydro-Québec, etc.), preuves de rendez-vous chez un médecin ou chez un dentiste, preuves d'inscription à l'école ou à un service de garde préscolaire, etc.

«Présumés coupables»

«Essayez de joindre une école en plein mois de juillet pour obtenir une preuve d'inscription pour vos enfants. Je vous souhaite bonne chance», dit Mariève Boucher, mère de trois enfants, qui a aussi fait l'objet d'une vérification de l'ARC.

Elle et son mari Martin Wallden exploitent la ferme Végéterre, petite entreprise d'agriculture biologique de Saint-Siméon, près de Bonaventure, en Gaspésie.

Lorsqu'ils ont reçu une lettre de l'ARC, en juillet 2011, ils étaient loin de soupçonner l'ampleur du défi qui les attendait pour les quatre prochains mois. Le questionnaire était tellement complexe que le couple a d'abord cru, à tort, qu'il n'avait pas l'obligation d'y répondre.

Ils ont finalement dû rassembler une cinquantaine de pages de documents pour prouver qu'ils avaient bel et bien droit à la prestation fiscale de 1200,38$ par mois qu'ils reçoivent pour leurs trois enfants de 2 à 8 ans.

La mère de famille a mis quatre mois à trouver tous les documents exigés par l'ARC et a dû se débrouiller tout ce temps sans cette aide financière précieuse, qui avait été interrompue par l'agence fédérale.

«On n'avait rien à se reprocher, mais c'est comme si on était présumés coupables [de fraude]», raconte Mariève Boucher, en entrevue téléphonique.

«C'est vraiment de la bureaucratie compliquée. Est-ce qu'ils veulent faire peur aux gens?», demande-t-elle.