En pleine controverse, le gouvernement canadien veut nommer à la tête du centre Droits et Démocratie un ex-candidat de l'Alliance canadienne, ancêtre de l'actuel Parti conservateur, Gérard Latulippe.

Le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, a annoncé cette décision lundi. Il a aussi réitéré sa confiance à l'endroit du conseil d'administration de Droits et Démocratie alors que les accusations d'ingérence politique au sein de cette institution se multiplient. L'annonce a été dénoncée tant par les partis de l'opposition que par d'anciens présidents de l'organisme et par le syndicat qui représente ses employés.Doté d'un budget de 11 millions, ce centre voué à la promotion des institutions démocratiques et des droits de l'homme est plongé dans une crise sans précédent depuis la mort du président Rémy Beauregard, le 7 janvier, à l'issue d'une réunion orageuse du conseil d'administration.

Depuis, 46 des 47 employés du Centre ont réclamé la démission de trois administrateurs. L'opposition a accusé le gouvernement d'avoir placé ses pions à la tête de l'organisme pour infléchir ses orientations politiques en faveur d'Israël, et la famille du défunt a réclamé une enquête publique.

La réponse du gouvernement est venue lundi.

«J'ai indiqué dans les dernières semaines que nous allions poser des gestes. Nous posons des gestes, a dit le ministre Cannon. M. Latulippe possède une combinaison exceptionnelle d'expérience et d'expertise en relations internationales et en gestion, en plus d'avoir démontré sa volonté de travailler au bien public.»

Consultation

Ministre libéral sous Robert Bourassa dans les années 80, mis à la porte du cabinet dans la controverse, souverainiste affirmé lorsqu'il a été délégué du Québec à Bruxelles sous un gouvernement péquiste, puis candidat pour la formation de droite de Stockwell Day en 2000, M. Latulippe dirige actuellement le bureau d'Haïti de l'ONG américaine National Democratic Institute.

Depuis le séisme du 12 janvier, où M. Latulippe a échappé de peu à la mort, il s'est prononcé en faveur de la mise sous tutelle d'Haïti - une position diamétralement opposée à celle que défend Ottawa.

Selon la loi constitutive de Droits et Démocratie, le gouvernement doit consulter les partis de l'opposition avant de nommer son président et son conseil d'administration.

«Ce n'est pas une consultation, c'est une notification!» s'est insurgé hier le critique du NPD en matière d'affaires étrangères, Paul Dewar. Les néo-démocrates s'opposent à la nomination d'un nouveau président avant d'avoir entendu, en comité parlementaire, les dirigeants de l'organisme et le ministre.

«Le principal problème, c'est le conseil d'administration, a ajouté M. Dewar. Nous sommes devant une voiture dont on a perdu la maîtrise, les freins ne fonctionnent plus, mais le gouvernement veut ajouter de l'essence dans le réservoir.»

Même son de cloche au Bloc québécois, qui va jusqu'à réclamer la mise sous tutelle de l'organisme. «Le Parti conservateur a hyper-politisé Droits et Démocratie. Et ça continue avec la nomination d'un ancien candidat de l'Alliance», a déploré le chef libéral, Michael Ignatieff, de passage à Moncton, au Nouveau-Brunswick.

Les partis de l'opposition ont jusqu'au 1er mars pour réagir au choix du nouveau président, sans quoi le gouvernement procédera à la nomination de M. Latulippe, qui pourrait entrer en fonction avant la mi-mars.

Selon la directrice des communications de Lawrence Cannon, Catherine Loubier, le gouvernement a tenu compte dans le passé des critiques de l'opposition et a écarté, à une occasion, un candidat pressenti à un poste à Droits et Démocratie.

Décision scandaleuse

Ed Broadbent, qui a dirigé Droits et Démocratie après sa fondation, en 1988, par le gouvernement de Brian Mulroney, estime que la nomination de Gérard Latulippe est «scandaleuse.» «Le problème crucial, c'est le conseil d'administration, qui a imprimé une direction politique à ce centre censé être indépendant», a-t-il dénoncé lundi.

Selon lui, le ministre Cannon «a complètement échoué à prendre de front ce problème».

«Si le nouveau président a la même idéologie que la majorité du conseil d'administration, les problèmes ne seront qu'exacerbés», a dit un autre ancien président, Warren Allmand.

Le président par intérim Jacques Gauthier s'est réjoui de la nomination de Gérard Latulippe, qui est selon lui un candidat aux compétences «impressionnantes».

À l'interne, l'annonce de la nomination a été accueillie avec scepticisme. L'arrivée d'un nouveau président «n'est que la pointe de l'iceberg», affirme l'Alliance de la fonction publique, qui représente les employés de Droits et Démocratie. Ces derniers «font face à ce qui s'apparente à une chasse aux sorcières», dénonce l'Alliance dans un communiqué.

Depuis la mort de Rémy Beauregard, le conseil d'administration a suspendu trois cadres supérieurs du Centre, fermé son bureau de Genève et lancé une enquête administrative.