Plus de deux ans après avoir été armés, les agents des services frontaliers n'ont pas eu à tirer un seul coup de feu dans l'exercice de leurs fonctions. Dans un rapport produit cet automne et que La Presse a obtenu, l'Agence des services frontaliers du Canada qualifie cependant de «réussite» cette initiative du gouvernement conservateur, qui a coûté 785 millions de dollars.

Le rapport dresse en effet un bilan détaillé plutôt positif de ce programme. On y note par exemple que, entre le mois d'août 2007 et le 31 mars 2009, aucun agent ne s'est absenté du travail parce qu'il craignait pour sa sécurité, alors qu'ils avaient été 1359 à le faire entre 2004 et 2007. De plus, s'ils n'ont pas eu à tirer, près de 10% des 813 agents armés en date du 31 mars 2009 ont tout de même dû dégainer, dans la grande majorité des cas pour «protéger le public ou un autre agent».

 

Enfin, «conséquence imprévue» selon le rapport, le fait d'être armés a entraîné un «sentiment accru de professionnalisme parmi les agents ayant suivi le cours de formation». Les agents ont notamment témoigné du fait que les cours de maniement des armes à feu qu'ils ont suivis ont «amélioré leur capacité d'évaluer les risques».

Le Syndicat des douanes et de l'immigration, qui compte quelque 11 500 membres, dont les agents des services frontaliers, est d'accord avec cette analyse. «Avant, on était perçus comme des collecteurs de taxes aux frontières; maintenant, on fait partie de la sécurité publique, illustre Jean-Pierre Fortin, vice-président du syndicat. C'est le plus grand changement culturel auquel on a assisté, de mémoire.»

M. Fortin confirme qu'aucun de ses membres - ils sont maintenant 1200 à être armés - n'a eu à tirer un coup de feu depuis l'implantation de cette initiative. «Vous savez, la majeure partie des policiers ne sortiront jamais leur arme de leur vie. Mais avant, les gens armés et dangereux, on avait la consigne écrite de les laisser passer et d'appeler la police. Aujourd'hui, on intervient.»

Annoncé en 2006, ce programme d'Ottawa visait à armer quelque 4800 agents des services frontaliers d'ici à 2016, à l'exclusion de ceux qui travaillent dans les aéroports. Les premiers agents qui ont suivi leur cours avec succès, un groupe de 39 personnes, sont entrés en fonction en août 2007. Au 31 mars 2009, 813 agents au total avaient obtenu leur certificat d'accréditation au maniement d'armes, avec un taux de réussite «solide» de 88%, précise le rapport.

De ces 813 agents, 78 ont eu à sortir leur arme en 46 occasions en date du 31 mars 2009. Ils ont également utilisé leur matraque lors de 10 incidents et leur aérosol OC - le gaz poivre - neuf fois. On a peu de détails sur ces interventions et leurs conséquences. «Même si des armes à feu ont été dégainées (...), il n'est pas possible de déterminer si leur utilisation a permis d'améliorer l'efficacité des agents», écrivent les auteurs du rapport.

Des 78 agents qui ont dégainé, 24 ne travaillaient pas dans un poste frontière mais étaient appelés, par exemple, à arrêter des immigrants illégaux. Soixante-douze de ces agents intervenaient en vertu de la Loi sur les douanes ou de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés; 55 agents ont invoqué la nécessité de «se protéger soi-même» pour dégainer leur arme de service; 12 l'ont fait pour empêcher qu'une infraction soit commise; 12 pour empêcher qu'une personne ne s'échappe.

Du côté des points faibles, les auteurs du rapport notent les problèmes de collaboration entre agents armés et non armés, ces derniers ne sachant pas «quelle mesure prendre pour se protéger ou protéger le public lorsqu'une arme à feu de service est utilisée». On suggère également d'étudier la possibilité de fournir des armes aux agents frontaliers dans les aéroports.

Avec la collaboration de William Leclerc