Près de deux siècles et demi après sa mort, la première sainte québécoise, Marguerite d'Youville, fera un ultime voyage jusqu'à son lieu de naissance, Varennes, pour être inhumée dans la basilique Sainte-Anne.

C'est la vente à l'Université Concordia de la maison des Soeurs grises qui oblige à troubler le repos éternel de Marguerite d'Youville. Mais la sainte femme ne devrait pas s'en formaliser puisqu'elle a déjà déménagé six fois depuis qu'elle est morte d'un accident cérébral vasculaire, le 23 décembre 1771.

 

Arrivée dans l'actuel édifice de la rue Guy en 1870, sa dépouille a occupé différents endroits, notamment un lieu de sépulture vitré, dans la crypte, au sous-sol, où on voit encore son cercueil de bois. Actuellement, ses restes se trouvent dans un coffret de bois et d'acier inoxydable scellé, à l'intérieur du maître-autel de la magnifique chapelle du complexe. Selon soeur Nicole Fournier, secrétaire de l'administration générale des Soeurs grises, après toutes ces années, il ne reste que des ossements, et le coffret fait environ 60 cm de longueur. La communauté s'est adressée à la Cour supérieure récemment pour obtenir l'autorisation de l'exhumer. Simple formalité, mais qui est incontournable.

Le transfert des restes de la fondatrice des Soeurs de la Charité de Montréal, mieux connues sous le nom de Soeurs grises, s'amorcera le 14 octobre prochain. Il durera trois jours et sera entouré de tout un rituel. Après sa sortie du maître-autel, en présence de Mgr Michel Parent, le coffret sera déposé sur un chariot que l'on fera circuler dans la maison mère afin que tout le monde, notamment les religieuses trop malades pour se déplacer, puisse le toucher.

Le coffret sera ensuite apporté à l'édifice des Soeurs grises de la rue Saint-Pierre, où Marguerite d'Youville a habité. Sa dépouille y passera la nuit. Le voyage s'amorcera le lendemain, avec des arrêts dans des lieux significatifs. Soeur Marguerite d'Youville voyagera à la moderne, en camionnette. Elle fera d'abord un petit pèlerinage à la basilique Notre-Dame, où elle s'est mariée. Puis elle s'arrêtera à Boucherville, question de saluer la parenté - son fils a été prêtre à l'église Sainte-Famille, et son arrière-grand-père, Pierre Boucher, a fondé la ville. Elle devrait arriver à temps pour la cérémonie prévue à 19h à la basilique Sainte-Anne de Varennes. Le lendemain, il y aura messe et cérémonie de vénération. Le coffret sera ensuite inhumé dans la basilique, dans un endroit prévu à cette fin.

Les copines restent dans la crypte

Ce septième déménagement de soeur Marguerite d'Youville sera-t-il le dernier? L'avenir le dira. Mais en quittant la maison mère des Soeurs grises, en octobre, elle laissera derrière elle, dans la crypte, 275 religieuses et un bienfaiteur, Olivier Berthelot, seul représentant de la gent masculine à avoir trouvé le repos éternel parmi toutes ces femmes. Le ministère de la Santé n'a pas voulu qu'il y ait exhumation parce que certaines des religieuses sont mortes de maladie contagieuse, comme la petite vérole, explique soeur Fournier. Avant de céder l'immeuble à l'Université Concordia, la communauté devait faire couler une dalle de béton sur les tombeaux. Ce qui a été fait il y a quelques mois. «C'était une condition de la vente, résume soeur Fournier, pour éviter les risques de contamination si, par exemple, les ouvriers avaient un jour à aller réparer un dégât d'eau dans la crypte.» La pièce a retrouvé son aspect original, avec les croix de bois surmontant les tombeaux. Cet impressionnant musée est encore visible mais, après le déménagement, il sera scellé et protégé par caméra.

La vente du domaine de la rue Guy fait certainement un gros pincement au coeur des Soeurs grises. Environ 140 d'entre elles y résident encore. Leur moyenne d'âge est de plus de 80 ans.

«C'est une époque qui se termine. On part parce qu'il n'y a pas de relève au pays. Qu'est-ce qui adviendra, on ne sait pas. Mais il faut avoir confiance en l'avenir», dit doucement soeur Fournier. L'Université Concordia a acheté l'édifice pour 18 millions, afin d'y installer sa faculté des beaux-arts ainsi qu'une résidence pour étudiants. Le déménagement doit se faire par étapes, jusqu'en 2022, mais soeur Fournier estime que le déplacement se fera bien avant. Les religieuses iront vivre dans d'autres résidences de la congrégation.

 

QUELQUES DONNÉES

Marguerite Dufrost de Lajemmerais est née à Varennes le 15 octobre 1701. Elle se marie avec François d'Youville, le 12 août 1722, à Montréal. Leur mariage durera huit ans. Elle devient veuve à 28 ans, avec deux enfants à charge. Elle ouvre un petit commerce et se dévoue auprès des pauvres et des démunis. Elle fonde la congrégation des Soeurs de la Charité de Montréal le 31 décembre 1737. Elle meurt à l'âge de 70 ans. Canonisée le 9 décembre 1990 par le pape Jean-Paul II, elle devient sainte Marguerite d'Youville.

La maison des Soeurs grises est située sur un terrain de 37 000 m2 dans le quadrilatère formé par les rues Guy, Saint-Mathieu, Sainte-Catherine et René-Lévesque. La congrégation des Soeurs grises, d'abord établie dans ce qui est devenu le Vieux-Montréal, avait acheté l'endroit de l'Ordre des sulpiciens en 1861. Plus de 1000 personnes ont déjà vécu dans le complexe. Outre les religieuses, il y a eu des orphelins, des personnes âgées et des soldats, pendant la guerre.

Classée monument historique, la chapelle de l'édifice, construite par l'architecte Victor Bourgeau, sera conservée, mais l'Université Concordia lui donnera une autre vocation.