Même s'ils admettent n'être que rarement ou même jamais exposés dans la vraie vie à un réel accommodement raisonnable basé sur la religion, 68 % des Québécois estiment qu'il y en a trop. Cinquante-neuf pour cent des Québécois estiment même qu'on devrait bannir tout port de signe religieux dans un endroit public, selon un sondage Angus Reid Strategies-La Presse réalisé la semaine dernière.

Des accommodements à la piscine? Inacceptables, à 90 %. Des arrangements quant au sexe d'un instructeur automobile? Non, à 81 %. Des locaux de prière à l'école ou sur les lieux de travail? Pas davantage, à 76 %.

«La question des accommodements raisonnables demeure très sensible, constate Jaideep Mukerji, vice-président aux affaires publiques chez Angus Reid Strategies. En comparaison avec un autre sondage sur le même thème que nous avons réalisé en juin à l'échelle du Canada, on voit bien que les Québécois sont beaucoup plus inquiets face aux autres cultures et aux autres religions.»

«Heureusement que les droits sont protégés par les chartes et qu'ils ne sont pas soumis à la volonté de la majorité! lance Marie McAndrew, titulaire de la chaire en relations ethniques à l'Université de Montréal. La si vive opposition des Québécois à tout accommodement démontre qu'ils en font une question de principe.»

Cela étant dit, certains accommodements reçoivent une fin de non-recevoir un peu moins catégorique. Ainsi, pour le médecin du même sexe, c'est encore non, mais à 59 %. Pour un menu différent à la garderie ou pour l'octroi de congés pour des fêtes autres que chrétiennes, on se situe dans les deux cas à 57 %.

Comme si les Québécois dits de souche, qui ont eux aussi leurs préférences pour leur médecin ou leurs exigences quant aux menus de la garderie, s'identifiaient un peu plus à ces demandes. «Pas impossible! lance la sociologue Annick Germain, professeure et chercheuse à l'Institut national de la recherche scientifique. Chose certaine, l'inquiétude est là, et quand les gens sont inquiets, ils ont tendance à devenir plus tranchés, à se rabattre sur de grands principes qu'ils se mettent à brandir comme des drapeaux.»

Comme le principe de l'égalité hommes-femmes. «Les gens semblent se dire que ça, c'était un truc sûr à brandir, un bon clou sur lequel taper sans se trancher la main, un argument béton, quoi.»

Daniel Weinstock, directeur du Centre de recherche en éthique de l'Université de Montréal, le croit aussi. «Aux audiences de la commission Bouchard-Taylor, cette récupération subite et opportuniste de l'égalité hommes-femmes était flagrante! C'est comme si tout d'un coup, certaines personnes avaient compris qu'elles risquaient moins de se faire traiter de racistes si elles enrobaient leur discours de l'argument de l'égalité hommes-femmes.»

Pas de signes religieux

Trois Québécois sur quatre s'opposent systématiquement au port de signes religieux - que ce soit à l'école (à 76 %), au travail (à 74 %) ou dans les hôpitaux (à 70 %) -, et cela préoccupe M. Weinstock. «À Montréal, on a vu quantité d'immigrants défiler pour dire que ce qu'ils réclamaient, ce n'était pas tant des accommodements que des emplois, une reconnaissance de leur diplôme. J'aurais espéré que leurs plaidoyers les rendent plus sympathiques aux Québécois. Il faut croire que ce n'est pas arrivé.»

«Manifestement, la préoccupation identitaire des Québécois est plus forte que dans le reste du Canada. Le Canadien anglais, c'est déjà un "post-ethnique", une personne qui peut aussi bien être de souche écossaise que polonaise ou sud-américaine. Les Québécois, eux, ont toujours cette idée qu'ils ont un "nous" à protéger.»

Aussi philosophe soit-il de profession, M. Weinstock doute que ce soit les grands énoncés qui fassent avancer les mentalités. Il croit plutôt à la force des choses. Quand Montréal comptera un aussi haut pourcentage d'immigrants que Toronto, ces questions ne se poseront plus avec autant d'acuité, croit-il. Et encore moins quand on constatera qu'on n'a pas les moyens de se priver, par exemple, d'une infirmière, «hijab ou pas».