La semaine au cours de laquelle les Québécois ont sorti manteaux et foulards, Rosy Cyr maugréait gentiment contre les fréquentes pannes d'électricité chez elle. Pas qu'elle craigne le froid : dans sa ville sénégalaise, c'est davantage l'arrêt du ventilateur qui la préoccupe.

«Il fait beau et chaud ici. Autour de la maison, il y a tout plein de plantes qui grimpent. Ce sont des bougainvilliers. C'est très joli, les fleurs roses partout», raconte-t-elle pour décrire l'endroit où elle vit.

Rosy entreprend sa quatrième année au Sénégal dans le programme Uniterra relevant du CECI (Centre Canadien d'Études et de Coopération Internationale). Conseillère en gestion de projets éducatifs et en andragogie, elle renforce les compétences des «alphabétiseurs» sénégalais. La formation a déjà été offerte à plus de 300 personnes. Dans un effet boule de neige, ceux-ci formeront à leur tour d'autres alphabétiseurs, mais cette fois-ci, dans les langues nationales.

«C'est un travail très particulier, explique-t-elle. Car on doit former les adultes pour répondre à leurs réels besoins. Par exemple, si des femmes vendent des mangues, elles apprendront les mots et les lettres ainsi que des notions de calcul qui vont les aider dans leur travail, pour qu'elles puissent aller au marché et mieux se débrouiller dans la gestion de leur petit commerce. Donc, l'offre de services de formation doit tenir compte de ces réalités.»

Dès qu'elle parle des défis qui l'animent, Rosy Cyr s'enflamme. Elle énumère les nombreuses langues du Ségénal, elle discute des femmes qui prennent leur place, et elle explique la nature des projets pour lesquels elle doit montrer beaucoup, beaucoup de patience.

Il y a trois ans, elle avait pourtant presque abandonné l'idée de travailler en Afrique.

Au début de 2006, elle est alors agente de développement dans un centre d'éducation pour adultes au nord de Montréal. Elle vit à Deux-Montagnes et elle vient d'apprendre qu'elle sera grand-mère.

«Je parlais depuis de nombreuses années de faire de la coopération internationale. Mes enfants sont devenus grands, alors je voudrais partir. Je cherche, mais je ne trouve rien qui me convienne, explique-t-elle. Et puis quand ma fille m'annonce qu'elle est enceinte, je me dis: j'arrête tout, je reste ici, je vais être une grand-maman!»

Deux mois plus tard, une amie lui signale que le CECI cherche une personne avec une expérience en alphabétisation pour travailler au Niger. Elle croit avoir le profil de l'emploi, et elle soumet sa candidature. «Je n'en ai parlé à personne. Je voulais juste voir ce qui allait arriver», dit-elle.

Le CECI est emballé par son expérience, et lui offre plutôt un poste au Sénégal. Bouleversée, elle ne sait pas si elle doit accepter. Elle aborde la question avec ses trois enfants, et plus particulièrement avec sa fille, enceinte. «Elle m'a dit: maman, tu nous a toujours dit d'aller au bout de nos rêves. Depuis qu'on est tout petits que tu nous parles d'Afrique. Là, tu arrêtes d'en parler et tu le fais.»

Appuyée par sa famille, Rosy vend sa maison et ses meubles et elle entrepose ses biens les plus précieux. Elle planifie partir un an.

Le choc culturel

Active et engagée, Rosy Cyr est habituée à mener plusieurs dossiers simultanément. Elle est productive et elle nourrit de grandes attentes pour le projet qui l'attend au Sénégal.

À son arrivée, elle s'installe dans la ville portuaire de Mbour. De là, elle sillonne le pays pour cibler quels sont les besoins d'alphabétisation des adultes dans chacune des régions.

«Tout de suite, j'ai trouvé difficile de ne pas être aussi performante qu'au Québec. L'électricité est défaillante et les déplacements en transports en commun sont compliqués - le taxi part quand il est plein et on peut attendre une heure! illustre-t-elle. On quitte le Québec avec des images dans notre tête, mais ces images ne sont pas les mêmes que la réalité.»

Rapidement, elle doit faire preuve d'une grande patience. Elle s'acclimate à la culture du pays et à la vie plus modeste. Les premières semaines sont difficiles, mais elle s'éprend rapidement de son pays d'adoption.

Si bien qu'au bout de 10 mois de travail, elle ne peut se résoudre à partir. D'une année à l'autre, elle prolonge son mandat. «Je n'ai pas de date de retour. Quand on sent qu'on a beaucoup d'amour derrière soit, c'est plus facile de partir, explique-t-elle. J'aime mon travail ici, ça me passionne. Et puis, je suis en contact régulier avec ma famille par l'internet. Grâce aux caméras, j'ai tout de même un beau lien avec ma petite-fille, qui m'appelle mamie Afrique.»

Au cours des prochains mois, Rosy accompagnera quelques responsables de la Coordination des opérateurs en alphabétisation du Sénégal dans au moins six régions du Sénégal. Ils créeront des classes basées sur la démarche de formation sur mesure.

«Je suis contente d'être partie pour l'Afrique, résume Mme Cyr. J'apprends beaucoup plus des Sénégalais qu'eux apprennent de moi. Je pense que je suis beaucoup plus tolérante aujourd'hui. C'est facile quand on est au Québec de porter un jugement sur les façons de faire à l'étranger. Maintenant, j'ai les deux pieds dedans. Je comprends mieux.»