Le dalaï-lama sera à Montréal aujourd'hui. Depuis sa dernière visite il y a 16 ans, sa santé s'est fragilisée et son pays, le Tibet, est resté sous le joug chinois. Malgré tout, le leader spirituel tibétain fait toujours courir les foules. Radiographie d'une popularité qui dure et dure encore.

À Vancouver cette semaine, 16 000 adolescents l'ont accueilli avec des cris perçants, comme si c'était Hannah Montana. À Calgary, ses faits et gestes ont été rapportés par les journaux dans les moindres détails. À Montréal, les billets à 60$ pour l'entendre parler au Centre Bell sont partis comme des petits pains chauds. Pas de doute, le dalaï-lama, à 74 ans, est une star.

 

Et pas une étoile filante. Depuis des décennies, les chefs d'État et les acteurs d'Hollywood sont prêts à faire des pieds et des mains pour rencontrer en privé le leader tibétain. Des dizaines de milliers de touristes font chaque année le voyage jusqu'à Dharamsala, dans l'Himalaya indien, où le dalaï-lama a établi son gouvernement en exil, dans l'espoir de l'apercevoir.

«Il est facile d'oublier que le dalaï-lama n'a pas toujours été une superstar internationale», note, au bout du fil, Robert Barnett, directeur du département d'études tibétaines modernes de l'Université Columbia, à New York.

Né dans le village de Taktser, en 1935, dans un Tibet indépendant, Tenzin Gyatso n'avait que 5 ans quand il est devenu dalaï-lama, 15 ans quand il a négocié pour la première fois avec la Chine qui venait de prendre le contrôle militaire du royaume, et 24 ans quand il a dû fuir son palais de Lhassa.

De l'Inde, il tentait tant bien que mal d'alerter la planète alors que la population du Tibet était décimée par l'armée chinoise. «À l'époque, sa voix était noyée dans toute la rhétorique anticommuniste de la guerre froide», explique M. Barnett.

De l'arrière-plan au Nobel

Tout ça a changé le 21 septembre 1987. Ce jour-là, le dalaï-lama exposait sa vision politique devant le Congrès américain: ses négociations avaient échoué avec la Chine, la cause tibétaine en était une de droits de la personne, a-t-il fait valoir. Le succès a été immédiat. Deux ans plus tard, alors que la Chine venait tout juste de réprimer durement les manifestants de la place Tiananmen, il recevait le prix Nobel de la paix.

«Beaucoup d'intellectuels à l'époque croyaient que sa popularité serait de très courte durée. Son approche anti-intellectuelle ne plaisait pas à tous, mais à long terme, ç'a fait son succès. Il a réussi à fusionner politique et spiritualité», concède l'expert de Columbia. Certes, le dalaï-lama n'a pas convaincu la Chine d'accorder au Tibet son autonomie, mais il a accompli l'exploit de garder la question du Tibet au coeur de l'actualité depuis 22 ans, soutient-il.

Malgré sa popularité, le dalaï-lama n'est pas épargné par la critique. Outre les dénonciations constantes de la Chine, qui voit en lui une relique d'un passé traditionaliste et féodal, la plus remarquée a été l'oeuvre du magnat de la presse Rupert Murdoch. «Certains cyniques disent qu'il est un vieux moine très politisé qui se promène en chaussures Gucci», a dit le propriétaire de Fox News au Vanity Fair en 1999. Les opinions conservatrices du dalaï-lama sur l'homosexualité et l'avortement sont aussi loin de faire l'unanimité, surtout parmi ses fans occidentaux.

Depuis quelques années, certaines de ses positions sont ouvertement critiquées dans les rangs tibétains. «La grande majorité des Tibétains soutiennent la vision du dalaï-lama, mais je ne cacherai pas qu'il y a un petit nombre qui, sans être contre lui, notent que ça fait 50 ans que les pourparlers avec les Chinois ne donnent rien et que c'est peut-être le moment de changer de tactique», remarque Kalsang Dolma, une Montréalaise d'origine tibétaine.

Elle s'est penchée sur la perception que les Tibétains ont du dalaï-lama en se rendant dans des parties reculées du Tibet pour porter un message de ce dernier. Le résultat est Ce qu'il reste de nous, un documentaire de l'Office national du film. «Selon moi, le 14e dalaï-lama est le plus remarquable de l'histoire du Tibet avec son sourire contagieux et sa manière toute simple de communiquer», explique la jeune femme.

Kalsang Dolma n'est pas la seule à penser de la sorte. Beaucoup de Tibétains craignent que la disparition de leur leader spirituel ne soit dévastatrice pour leur cause et pour leur propre unité. C'est le cas du Montréalais Thubten Samdup, depuis peu ambassadeur du dalaï-lama en Europe. «Si un jour il disparaît et que des jeunes deviennent frustrés et décident d'avoir recours à la violence, ce sera un jour d'une immense tristesse. Pendant que ce dalaï-lama est encore parmi nous et qu'il a la stature qu'il a, nous avons encore une chance de nous en sortir.»