Le vieil adage «Mieux vaut prévenir que guérir» est tout aussi vrai lorsqu'un génocide comme celui du Rwanda déchire un pays, plaide un groupe d'experts en affaires internationales dans un rapport rendu public mardi.

Rappelant d'abord les critiques qui ont été formulées contre le gouvernement canadien quant à son manque d'action au Rwanda dans les années 1990, le rapport appelle maintenant le Canada et les Etats-Unis à faire de la prévention des crimes contre l'humanité une priorité nationale.

«Avant que le génocide commence au Rwanda, personne ne s'y intéressait. Quand le sang s'est mis à couler, puis que les têtes ont commencé à 'revoler', tout le monde voulait y être», a déploré le général à la retraite et sénateur Roméo Dallaire.

Celui qui dirigeait la Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda en plein génocide, en 1994, a appelé le gouvernement canadien à tirer des leçons du cas rwandais.

Les informations préliminaires indiquant qu'un nettoyage ethnique s'y préparait ont à l'époque été ignorées par les dirigeants politiques, malgré les avertissements lancés par des experts. Parmi eux, le diplomate à la retraite Robert Fowler, l'ancien chef du NPD, Ed Broadbent, et le sénateur conservateur Hugh Segal ont notamment témoigné dans le cadre de l'étude dirigée par le sénateur Dallaire et Frank Chalk, professeur à l'Université Concordia.

Ces derniers étaient tous présents, mardi, pour présenter leur rapport aux médias, à Ottawa.

Les auteurs du rapport suggèrent d'abord au premier ministre de nommer un ministre de la Sécurité internationale, chargé de coordonner les différentes instances du gouvernement et de s'assurer que l'information circule librement entre ces dernières.

Le document propose aussi la création d'un bureau de coordination interministériel et d'un groupe parlementaire multipartite, pour la prévention de crimes contre l'humanité.

«L'étude vise à inculquer dans l'esprit politique des pays la capacité d'aider les politiciens et chefs d'Etat à prendre les décisions pour intervenir tôt, afin ultimement de prévenir des conflits. Et, s'il y a destruction massive de vies humaines ou génocide, d'intervenir s'il le faut par la force», a expliqué le sénateur Dallaire.

Mais avant même de mobiliser son armée, le Canada peut tenter de faire preuve de persuasion et user de «soft power», afin d'éviter l'éclatement de conflits à l'étranger, soutiennent d'autre part les experts.

Citant de nouveau le cas du Rwanda, M. Chalk a noté qu'Ottawa aura pu intervenir de diverses façons, soit en saisissant les comptes bancaires des autorités du pays ou en expulsant les étudiants rwandais du Canada - lesquels étaient dans bien des cas les enfants des futurs leaders du génocide.

«Si le gouvernement canadien avait pris la bonne décision (en suspendant par exemple l'aide monétaire au Rwanda) lorsqu'il avait ces informations en main, peut-être que les situations atroces auxquelles ont été confrontés le général Dallaire et la communauté internationale un an plus tard auraient été écartées», a estimé M. Broadbent.

Et outre le souci moral d'empêcher de tels drames humains, ces crises politiques posent un risque réel au niveau national, notamment en matière de santé publique. Car les nombreux réfugiés qui viennent cogner aux portes du pays peuvent ramener avec eux des maladies infectieuses mortelles susceptibles de causer une pandémie.

Les bouleversements peuvent également entraîner une menace terroriste ou compromettre la prospérité économique, a noté M. Chalk.

Le professeur a par ailleurs indiqué que le Parti libéral et le Nouveau Parti démocratique ont appuyé les recommandations de son rapport. «Mais ce n'est pas une question partisane. Il s'agit de protéger les victimes d'atrocités de masse et de nous protéger nous-mêmes, ici, au Canada», a-t-il souligné.

Les auteurs du rapport et leurs spécialistes étaient à Washington lundi, afin de faire part de leurs recommandations au gouvernement américain.

L'étude, qui est basée sur l'analyse de cas du génocide rwandais et de la crise au Kosovo, a donné lieu à des entrevues avec un groupe de 80 experts, sur une période de 19 mois.