Au début, Jean Lapointe ne voulait pas faire Duplessis. À l'automne de 1977 - le Parti québécois était au pouvoir depuis un an -, il venait de terminer la tournée Rire aux larmes et aspirait au repos.

«J'avais 177 shows dans le corps», se souvenait le sénateur Lapointe lorsque nous l'avons joint au téléphone plus tôt cette semaine. «Et j'ai dit à mon gérant que j'avais besoin d'un break. Jean-Claude Lespérance m'a dit: "Tu vas manquer quelque chose de gros..."»Jean Duceppe avait été un formidable Duplessis au théâtre dans Charbonneau et le chef, créée à Québec en 1971. Pour ce qui s'avérera le plus grand rôle de sa carrière de comédien, Jean Lapointe était le premier choix du réalisateur Mark Blandford qui avait apprécié son jeu dans le film Les Ordres de Michel Brault (primé à Cannes en 1975).

«Je savais que Duplessis était un showman et je voulais d'abord le voir sur film», raconte M. Lapointe, un «libéral de famille» normalement politisé qui a «voté Trudeau», «voté Mulroney deux fois» et appuyé «M. Lévesque» aussi, avant d'être nommé au Sénat par le premier ministre libéral Jean Chrétien en 2001. «J'avais lu le texte de Denys Arcand, qui s'apprenait facilement, mais comme Duplessis haïssait Radio-Canada, il y avait très peu de films d'archives sur lui. J'en ai visionné une dizaine de minutes qui contenaient entre autres des extraits d'un discours où Duplessis - qui adaptait toujours son accent à son public - avait parlé de «colonisaution» et d'«éducaution».

Et Jean Lapointe avait jeté tout le monde à terre à la première lecture de la série avec un discours improvisé sur la «colonisaution»... «Ce n'était pas une imitation ; c'était juste ma perception du personnage...» Personnage que d'aucuns, chez les «révolutionnaires tranquilles», avaient trouvé par trop sympathique alors que d'anciens supporters, dans une plainte au CRTC, arguaient qu'on avait déformé l'histoire en présentant le Chef sous les traits d'un alcoolique grossier. Jean Lapointe se rappelle juste d'une chose: «Avant même qu'on commence à tourner, j'avais dit à l'équipe que Duplessis sortirait de cette série-là plus populaire dans le public...»

La série de sept heures, diffusée en février et mars 1978, s'avéra un formidable succès d'écoute. Inoubliable Patricia Nollin dans le rôle d'Auréa Cloutier qui fut jusqu'à la fin la secrétaire, et peut-être la maîtresse, de Duplessis. Et que dire de l'ineffable Donald Pilon incarnant Gérald Martineau, organisateur en chef et grand argentier de l'Union nationale qui en viendra à personnifier à lui seul le patronage systémique du régime duplessiste.

Jean Lapointe, lui, était «le Chef». Avec qui il partagera toujours un sens du spectacle et de la répartie. Jamais dans l'histoire de la télévision québécoise un comédien n'aura si complètement transformé l'image d'un personnage historique honni. Tout en lui restant tout à fait fidèle.