L'histoire de Suaad Hagi Mohamud a de quoi donner froid dans le dos à tous les voyageurs. Un douanier suspicieux qui soulève des doutes sur son identité. Des autorités canadiennes, qui, à la suite d'une enquête manifestement bâclée, confirment «l'imposture» et annulent le passeport. Mme Mohamud a pourtant fait l'impossible pour prouver son identité. Elle a fourni aux autorités canadiennes pas moins de 12 pièces d'identité. Elle a fait prendre ses empreintes digitales. Tout cela en vain.

«Les autorités canadiennes l'ont abandonnée, juge son avocat, Raoul Boulakia. Ça veut dire que les voyageurs ne peuvent plus avoir confiance en leur citoyenneté canadienne pour être protégés.» Il aura fallu trois mois de procédures, qui se sont conclues par un test d'ADN, pour prouver hors de tout doute l'identité de Mme Mohamud. À ce jour, le ministère des Affaires étrangères refuse toujours de fournir les détails de «l'enquête» qui a mené à la conclusion - erronée - que Mme Mohamud était un imposteur.

«Ils ne veulent absolument pas nous fournir quelque preuve que ce soit de cette enquête. On refuse également de me redonner l'original du passeport», indique Me Boulakia. L'avocat a cependant une photocopie du document, qui date de 2005. Nous le reproduisons ci-contre, avec une autre photo prise récemment. «La seule différence, c'est qu'elle a perdu du poids. Autour de 10 kilos», dit son avocat.

Kilos en moins et nouvelle teinture

Comme Suaad Mohamud, bien des Canadiens ont changé physiquement par rapport à la photo affichée dans leur passeport. En cinq ans, ils ont pu perdre ou gagner du poids, arborer de nouvelles lunettes, une nouvelle coupe ou couleur de cheveux. Doivent-ils s'inquiéter ? Oui, répondent les autorités de Passeport Canada.

«Bien que ce ne soit pas obligatoire, nous vous recommandons d'obtenir un nouveau passeport si votre apparence a changé considérablement, même si votre passeport est encore valide», souligne-t-on sur le site web de l'organisme. L'opération est évidemment aux frais du citoyen. Mais faut-il faire reprendre la photo au moindre changement? La réponse n'est pas très claire. «La décision de laisser entrer ou sortir les voyageurs étrangers appartient à chaque pays ou région», répond laconiquement Emma Welford, porte-parole au ministère des Affaires étrangères.

Et comment les douaniers canadiens sont-ils formés pour vérifier l'identité des milliers de voyageurs qui défilent devant eux? Là encore, la réponse n'est pas claire. « Les agents de l'Agence des services frontaliers du Canada reçoivent une formation spécialisée, se borne à indiquer Tracie Leblanc, porte-parole à l'ASFC. Nous ne discutons pas des stratégies relatives au renseignement.»

Joël Étienne, avocat spécialisé en immigration, comprend la méfiance des autorités canadiennes face aux possibles imposteurs. «Le gros problème, c'est l'usage frauduleux de passeports canadiens. Des milliers de gens les utilisent pour entrer au Canada et ensuite, font une demande de statut de réfugié. La majorité des réfugiés arrivent ici avec de faux documents», soulignait-il cette semaine en entrevue à Radio-Canada.

«On utilise des technologies anciennes alors qu'on est au XXIe siècle. Une photo, c'est un peu désuet», dit-il, évoquant l'exemple de la Colombie, où les citoyens sont tenus de fournir des empreintes digitales pour un simple permis de conduire. La vérification d'un cas litigieux comme celui de Mme Mohamud aurait été très simple si une telle technologie avait été utilisée sur le passeport canadien.

Identification: le défi reste entier

Mais même au XXIe siècle, l'identification des personnes est toujours un immense défi. Certains logiciels ont été mis au point et prennent en compte différents éléments du visage - distance entre les yeux, largeur du nez et de la mâchoire - pour en arriver à identifier une personne. Une sorte «d'empreinte faciale».

Cette technologie est déjà installée dans certains aéroports, comme ceux de Boston, San Francisco ou Fresno, et aux frontières de quelques États, notamment en Allemagne, en Australie et aux États-Unis. Ce type de logiciel a également servi, on s'en doute, aux forces policières. En Floride, au lendemain des attentats de septembre 2001, on a utilisé le logiciel FaceIt, de la compagnie Identix, pour prendre la photo de tous les spectateurs du Superbowl de 2001 afin de dépister d'éventuels terroristes.

Le problème, souligne l'American Civil Liberties Union, c'est que ces logiciels sont loin d'être au point. « Ces logiciels génèrent beaucoup de faux positifs, des gens innocents qui sont pris pour des criminels, et des faux négatifs, de vrais criminels qu'on ne repère pas. Le problème, c'est que notre visage change », observe-t-on sur le site web de l'organisme. Le National Institute of Standards and Technology américain a d'ailleurs démontré que ce type de logiciel avait un taux d'erreur de plus de 40 %.

Au Canada, ni les corps policiers ni les douaniers n'utilisent ce genre de technologie. «L'identification de personnes, c'est un problème qui se pose quotidiennement», souligne Gilles Mitchell, de la Sûreté du Québec. «Le seul moyen d'identifier formellement une personne, ce sont ses empreintes digitales. Quand on ne les a pas, il faut travailler à l'oeil», ajoute Luc Bessette, de la Gendarmerie royale du Canada.

Photos: La Presse

Notre journaliste Agnès Gruda s'est prêtée à l'exercice qui a été le départ de tous les problèmes de Suaad Mohamud. La photo du passeport d'Agnès Gruda date d'août 2006. En guise de comparaison, un cliché d'elle pris hier dans nos studios. Alors, ressemble-t-elle à sa photo de passeport?