Loin de se résorber, la crise des isotopes médicaux s'enfonce alors que la remise en marche du réacteur nucléaire de Chalk River est reportée au début de l'année 2010.

La nouvelle, discrètement annoncée tard dans la soirée de mercredi par les responsables d'Energie atomique du Canada limitée (EACL), provoque la grogne dans les milieux médicaux où l'on se sert des isotopes pour diagnostiquer et traiter le cancer.

Ce délai supplémentaire entraînera des coûts importants pour le système de santé des provinces, mais surtout, des délais supplémentaires pour les patients.

«Ce qui peut être inquiétant est le fait que les délais d'attente seront plus longs pour pouvoir diagnostiquer les (malades)», s'est désolée Isabelle Legault du conseil exécutif de l'Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS).

Le premier ministre Stephen Harper s'est lui-même dit «déçu» et a indiqué qu'il allait continuer à faire pression sur EACL pour s'assurer d'un approvisionnement aussi vite que possible.

Mais il n'est pas question pour autant d'investir plus d'argent pour faire en sorte que les réparations nécessaires au réacteur soit faites plus rapidement ou encore pour aider les hôpitaux à s'approvisionner en isotopes.

En entrevue à La Presse Canadienne, la ministre des Ressources naturelles, Lisa Raitt, a indiqué que la priorité était d'abord la réouverture de Chalk River.

«Les discussions concernant le financement d'EACL viennent en deuxième lieu», a-t-elle souligné.

«Je veux assurer les Canadiens que nous travaillons de façon assidue sur le dossier et que nous travaillons avec nos partenaires internationaux pour augmenter le nombre d'isotopes médicaux (disponibles)», a-t-elle ajouté.

Le réacteur, responsable de 40 pour cent de la production mondiale d'isotope, avait d'abord été fermé pour trois mois en raison d'une fuite d'eau lourde au printemps dernier, mais de récentes analyses indiquent que des réparations sont désormais requises à neuf endroits spécifiques.

En entrevue à La Presse Canadienne, le président-directeur général d'EACL, Hugh MacDiarmid, s'est dit confortable avec la nouvelle date d'échéance et n'envisage pas que des délais supplémentaires soient à nouveau nécessaires au printemps de l'an prochain.

Le réacteur doit en principe pouvoir fonctionner jusqu'en octobre 2011, mais la durée de vie du réacteur pourrait être prolongée par la suite de cinq ou 10 ans.

«Nous nous attendons certainement à ce que les réparations que nous sommes en train de faire seront satisfaisantes et permettront au réacteur de fonctionner jusqu'à sa fin de vie utile», a-t-il affirmé.

Une crise prévisible?

Puisque le réacteur de Chalk River est âgé de plus de 50 ans et qu'il n'en était pas à ses premiers déboires, le gouvernement aurait-il pu voir venir la crise et agir en conséquence? C'est en tout cas ce que croient les députés des partis d'opposition.

Selon le porte-parole bloquiste en matière de Santé, Luc Malo, Ottawa n'a fait que se «croiser les doigts» en espérant que Chalk River soit facilement remis sur pied, mais il aurait fallu davantage d'action et d'investissements de la part du gouvernement, compte tenu de l'âge avancé du réacteur.

«Je ne pense pas que c'est ce que les patients souhaitent de leur gouvernement, qu'il espère que la chance sera de son côté», a-t-il fait valoir.

Pour le libéral David McGuinty, le gouvernement conservateur a tout simplement abandonné le secteur du nucléaire et il s'étonne donc que M. Harper se dise «déçu» du délai de réouverture.

«C'est quoi ça, «déçu"? S'il est déçu, il devrait prendre les mesures nécessaires pour investir pour que le Canada reste chef de file dans le secteur nucléaire et des isotopes médicaux», a-t-il lancé.

«C'est irresponsable au plus profond. On joue avec la santé, avec la vie des Canadiens et des Canadiennes», a-t-il conclu.

Les factures salées s'accumulent maintenant pour les hôpitaux du pays, d'une part parce que les isotopes sont plus chers en raison de leur rareté, mais aussi parce que les employés doivent faire du temps supplémentaire afin de se servir des isotopes qui restent au plus vite.

Le ministre de la Santé du Québec, Yves Bolduc, a déjà confirmé qu'il allait exiger un dédommagement de la part du fédéral pour les coûts supplémentaires engendrés par la pénurie. Il estime que la note s'élèvera à 10 millions $ pour la province si la crise devait se poursuivre pendant un an.

Le ministre fédérale de la Santé, Leona Aglukkaq, n'a pas fermé la porte à un tel dédommagement, mais elle a fait savoir qu'elle n'avait pour l'instant reçu aucune demande formelle de la part des gouvernements provinciaux.