Le car surfing qui fait une autre victime. Une vidéo qui montre un enfant de 7 ans conduire le véhicule familial. Des reportages dans tous les médias qui dressent le bilan routier des vacances de la construction. Et le Tout-Montréal qui rêve d'un retour possible de la F1 en 2010. Les Québécois sont-ils obsédés par l'automobile? Surtout plus sensibilisés aux dangers de la route, répond Jean-Marie De Koninck. Mais il y a encore du chemin à faire, ajoute le président de la Table québécoise de la sécurité routière et fondateur du service de raccompagnement opération Nez rouge.

Q: Quel lien faites-vous entre les accidents mortels de car surfing et cette vidéo qui montre un enfant de 7 ans au volant du véhicule familial?

 

R: Ce que je remarque surtout, c'est la réaction de la population. Elle trouve dans les deux cas que c'est inacceptable. À force de mettre la sécurité routière sur la place publique depuis trois ans, ça a donné des résultats. Les gens constatent que ce n'est pas la fatalité qui entraîne des morts sur les routes, mais que c'est à cause de gestes inconvenants de notre part. Vous savez, 80% à 90% des accidents sur la route pourraient être évités. Et les gens s'en rendent compte.

Q: Il n'en demeure pas moins que, malgré les campagnes de prévention, des jeunes font du car surfing et un père place son enfant derrière le volant.

R: Les gens prennent parfois leur voiture pour un jouet. Ils veulent avoir du plaisir. Les jeunes utilisent la voiture pour se valoriser. Et il y a le fameux effet grégaire, l'effet de groupe. Ça se produit davantage chez les jeunes. Il y a eu beaucoup de progrès contre l'alcool au volant chez les jeunes. Ceux de 18 ans sont les plus grands utilisateurs de chauffeur désigné, alors que les adultes sont plus réticents à se faire reconduire. Je l'ai vu dans les bars de jeunes. Ils planifient leurs sorties pour qu'il y en ait un qui boive du jus d'orange ou autre chose. Sauf qu'il arrive que, quand ils sont dans des partys exceptionnels, des bals de diplômés par exemple, donc pas la sortie traditionnelle du samedi soir, ils perdent la tête. Ils veulent montrer qu'ils sont meilleurs que les autres. Ça leur monte à la tête. Ils perdent les pédales.

Q: L'auto devient un jouet, une façon de se faire valoir?

R: Pour les jeunes, l'auto, c'est un sentiment de puissance, de liberté, de plaisir, d'autonomie. Ça fait partie du bris du cordon ombilical. À l'adolescence, les jeunes essaient le plus possible de prendre leurs distances avec leurs parents. Ils sentent le besoin de se détacher de la famille, et la voiture contribue à cela.

Q: L'auto est aussi un symbole de liberté chez les personnes âgées. Les aînés qui perdent leur permis perdent aussi leur autonomie.

R: C'est un parallèle intéressant. Les personnes âgées, quand elles perdent leur permis, c'est dramatique. Ça représente beaucoup pour elles.

Q: Que doit-on faire de plus pour éviter que des jeunes n'utilisent l'auto comme un jouet?

R: Le car surfing, c'est une question d'éducation et de sensibilisation. Ça ne passe pas par des lois plus sévères.

Q: Mais pensez-vous que l'État pourrait rendre le permis plus difficile à obtenir ou plus facile à perdre?

R: Nous l'avons recommandé. J'espère que la ministre (des Transports, Julie Boulet) va aller dans ce sens-là. On a recommandé que les jeunes obtiennent la banque de 15 points d'inaptitude, à laquelle on a droit vous et moi, de façon très progressive. À l'heure actuelle, ils n'ont droit qu'à 4 points les deux premières années, et s'ils ne les perdent pas, on leur en donne 15 ensuite. Alors il y a une espèce de sentiment d'euphorie qui survient à ce moment-là. Les jeunes se disent: «Enfin, je vais pouvoir être délinquant, m'en permettre quelques-unes parce que j'ai 15 points.» Nous, ce qu'on propose, c'est d'y aller très progressivement. Quatre points au début, ensuite huit points, puis 12 points. Et les 15 points, les jeunes ne les auraient qu'à 25 ans. Ça envoie un message: un instant, il va falloir que vous nous démontriez que vous êtes mature avant d'avoir tous les points. Soit dit en passant, les jeunes de moins de 25 ans sont responsables de 49% des cas de conduite dangereuse. Alors qu'ils représentent 10% des détenteurs de permis. Je pense aussi que c'est une question d'éducation et de sensibilisation.

Q: Mais quand on voit un père laisser son enfant de 7 ans conduire, ce n'est pas un bon exemple...

R: C'est un manque de jugement. Les parents ont un rôle important à jouer. Souvent ils s'en dédouanent. Ils disent que c'est à la SAAQ, au gouvernement, au Ministère de s'en occuper.

Q: Et il y a aussi les coupables tout désignés. On dit que c'est la faute des jeux vidéo, de l'internet et du cinéma.

R: Il faut aider les jeunes et les mettre en garde par rapport à ce qu'ils voient. Et ce sont les parents qui, au premier plan, devraient s'assurer de transmettre les bonnes valeurs à leurs enfants.

Q: Au cours des dernières années, les médias se sont intéressés de plus en plus au nombre de morts sur les routes pendant les vacances de la construction. Avant le début des vacances, on parle de prévention. Après, on fait un bilan. Pourquoi en a-t-on fait une sorte de tradition?

R: C'est à force de parler de sécurité routière. Des gens me disent: «Je trouve qu'on parle trop de sécurité routière.» Moi, je leur réponds que c'est mieux d'en parler que d'en mourir. Avant on n'en parlait pas assez et on en mourait. On a déjà eu 2300 morts sur les routes, on est rendu à 557. Il faudrait baisser à 325 ou 350, si on veut rejoindre les meilleurs pays comme la Suède, la Norvège et les Pays-Bas. Avant 2006, la sécurité routière était le cinquième enjeu de société selon les sondages. À partir de la fin de 2007, c'est devenu le deuxième, après l'environnement. Il y a donc eu un changement d'attitude dans la population. Le degré de tolérance est moins élevé. Avant, un décès sur les routes, c'était la fatalité: c'est normal, il y a beaucoup d'autos, il y a de la neige... Maintenant, c'est non. On dit que ce n'est pas normal que des enfants se fassent frapper par un conducteur en état d'ébriété. Ce n'est pas normal qu'un récidiviste se fasse arrêter pour la huitième fois. On se dit qu'il faut que ça change, que c'est inacceptable.