Un party avec les filles du camp Bud? La Coors Light, une bière «plus froide que la fille de 24 à qui t'en as donné 32»? Deux campagnes publicitaires de bière font beaucoup jaser cet été et s'attirent les foudres de groupes de femmes. Des plaintes ont même été portées au Conseil d'éthique de l'industrie québécoise des boissons alcooliques. Pourtant, c'est loin d'être la première fois que Molson Coors et Labatt Budweiser sont montrés du doigt pour des pubs jugées dégradantes pour les femmes.

«C'est un combat qui ne cesse pas», lance Jeanne Maranda, la fondatrice de la Meute-MédiAction, un organisme qui dénonce le sexisme dans les publicités. «Le principe est toujours le même. On présente une femme sexy d'une beauté parfaite avec des slogans qui diminuent la femme», ajoute sa collègue, Josée Quenneville.

Si le camp Bud est une campagne publicitaire, c'est aussi une dizaine de «vrais» camps organisés avec des «vraies» filles un peu partout au Québec, auxquels participeront les gagnants d'un concours web, à l'aide d'un code numérique qu'ils trouvent à l'intérieur des caisses de Budweiser.

À Montréal, difficile de ne pas voir les filles du camp Bud, dont la préposée au barbecue et la joueuse de volleyball. Surtout dans les stations de métro. «Lors d'un trajet, j'ai vu leurs mini-shorts rouges sur des méga-affiches à TOUTES les stations. La campagne de publicité de Budweiser est si agressive... Ça ne me surprendrait même pas que vous les ayez croisées au fin fond des bois...» écrit Marianne Prairie, l'une des Moquettes Coquettes, sur le blogue www.jesuisféministe.com.

Le collectif Les délicates attentions, dont les membres n'ont pas la langue dans leur poche, a même fait une affiche en riposte à la campagne de Bud. Leur slogan : «Je suis autonome : je me branle tout seul!»

«Les femmes ne sont pas des instruments masturbatoires de luxe, (...) il est bien indélicat de la part de la compagnie de broue de prendre leurs consommateurs fétiches tant aimés pour des décérébrés», écrivent les blogueuses.

Quant aux pubs de Coors Light, c'est plutôt sur les routes qu'elles attirent l'attention : «Une bière plus froide que la fille de 24 à qui t'en as donné 32», peut-on lire sur des panneaux d'affichage. Sur le site internet de la marque de bière, les slogans proposés par les internautes vont encore plus loin : une bière plus froide «que ton ex», «qu'une Ontarienne» ou encore «que ta femme frustée (sic)».

Juniper Glass, coordonnatrice à la Fondation Filles d'action, est heureuse de voir que des femmes dénoncent ces campagnes publicitaires. «L'important, c'est d'avoir un esprit critique face aux images dépassées», dit-elle.

Encore des plaintes

Le Conseil d'éthique de l'industrie québécoise des boissons alcooliques a reçu plusieurs plaintes concernant les deux campagnes. Mais le président, Claude Béland, ne pouvait pas s'entretenir avec La Presse, car le tout est à l'étude.

Labatt, dont relève Budweiser, n'a pas été en mesure de répondre à nos questions, parce que la responsable des relations avec les médias est en vacances. Jennifer Damiani, du service des communications, a toutefois indiqué qu'elle n'avait reçu aucun avis du conseil pour l'instant. Labatt respecte le code d'éthique des associations canadienne et québécoise des brasseurs, assure-t-elle, de même que les normes canadiennes de publicité.

«Tous nos messages sont conçus selon les règles», dit aussi Douglas Chow, conseiller principal aux relations publiques de Molson Coors.

Il n'en demeure pas moins que, au cours des deux premières années d'activité du conseil d'éthique, la plupart des plaintes visaient les publicités de Molson Coors et de Labatt Budweiser, le plus souvent pour leur caractère sexiste. En 2008, Molson a récolté 151 des 221 plaintes pour son «calendrier des plus belles filles de l'Est du Québec», qui a été retiré après une dizaine de jours de controverse en juillet 2008.

Les deux brasseurs ne font pas partie du Conseil d'éthique de l'industrie québécoise des boissons alcooliques, auquel l'adhésion est volontaire et dont les décisions ne vont pas plus loin que l'avis. «Nous estimons que la réglementation actuelle est efficace et suffisante», dit Douglas Chow.

Les Normes canadiennes de la publicité (NCP) voient aussi leur téléphone sonner souvent à cause des publicités des deux grands brasseurs. «La plupart du temps, les plaintes que nous recevons au sujet des annonceurs de bière concernent l'image de la femme», souligne la directrice des communications, Danielle Lefrançois.

Plus ça change, plus c'est pareil

Bien qu'elles suscitent des plaintes, les pubs comme celle du camp Bud reviennent année après année. Selon Josée Quenneville, de la Meute-MédiAction, les organismes qui établissent les normes de publicité n'ont aucun pouvoir, car les brasseurs sont seulement invités à adopter leur code d'éthique. «C'est de l'autorégulation. C'est ça, le problème.»

Et les plaintes? «Ces publicités sont très remarquées, donc le risque n'est pas énorme, dit la publicitaire Anne Darche. On fesse fort pour le segment qu'on vise, quitte à éclabousser. Et regardez, on est en train d'en parler!»

«Le sexe vend, renchérit Denyse Côté, professeure au département de travail social de l'Université du Québec en Outaouais. Ça pogne et ça fait vendre de la bière.»

Personne de la Fédération des femmes du Québec ni de la Coalition nationale contre les publicités sexistes n'était en mesure de commenter.