Pendant six ans, le Montréalais Abousfian Abdelrazik, arrêté au Soudan alors qu'il visitait sa mère malade, s'est battu pour rentrer au Canada, son pays d'adoption. Il y a un mois, il a eu gain de cause, mais depuis, sa vie est un cauchemar, a-t-il raconté jeudi lors de son premier témoignage public, implorant le gouvernement canadien de lui venir en aide.

À la fin d'un point de presse de 40 minutes qu'il a convoqué sur la colline parlementaire à Ottawa, l'homme de 46 ans a demandé aux ministres des Affaires étrangères et de la Sécurité publique de lui accorder une rencontre, de l'aider à obtenir justice et d'intervenir en sa faveur pour faire retirer son nom de la liste du comité 1267 des Nations unies, réservée aux membres et aux complices d'Al-Qaeda et des talibans.

Sa présence sur cette liste l'empêche de voyager, entraîne le gel complet de ses avoirs et interdit à quiconque de lui venir en aide financièrement, et ce, même s'il n'a été accusé d'aucun crime. «Je marche dans les rues de Montréal, mais c'est comme si j'étais encore en confinement solitaire dans la prison d'Al-Bawgah au Soudan. Je n'ai pas le droit de chercher un travail. Je ne peux pas recevoir de soins médicaux. Même mes proches ne peuvent pas me faire de cadeaux, aussi petits soient-ils», a déploré Abousfian Abdelrazik.

Au cours de son point de presse, le Montréalais d'origine soudanaise a raconté pour la première fois les six années qu'il a passées au Soudan sans pouvoir rentrer au Canada et, plus particulièrement, la torture qu'il a endurée aux mains de ses gardiens soudanais pendant 21 mois de détention. «On m'a battu avec un boyau d'arrosage, on m'a fixé au rebord d'une porte. On m'a battu», a raconté le grand homme filiforme.

Il a aussi profité de sa tribune pour nier en bloc les allégations américaines et onusiennes selon lesquelles il aurait connu Oussama ben Laden, tenté de participer à la guerre de Tchétchénie et reçu un entraînement d'Al-Qaeda en Afghanistan. «Je n'ai jamais fait de mal à qui que ce soit», a-t-il insisté.

Le SCRS blâmé

M. Abdelrazik a par ailleurs donné des détails sur l'interrogatoire que lui ont fait subir en 2003 au Soudan des agents du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). «Mes interrogateurs soudanais me demandaient des questions sur des Canadiens et les agents du SCRS qui sont venus me voir me posaient les mêmes questions. Ça m'a montré que le SCRS participait à toute l'affaire», a-t-il indiqué. «Ces agents (canadiens) m'ont dit que j'étais un Soudanais, pas un Canadien et que je devrais rester au Soudan à jamais. L'un d'eux a dit que le Soudan serait mon Guantánamo.»

Abousfian Abdelrazik a aussi rapporté avoir subi de la pression psychologique de la part des diplomates canadiens pendant son séjour d'un an - de mai 2008 à juin 2009 - à l'ambassade canadienne de Khartoum, où il avait trouvé refuge.

Ce séjour s'est terminé à la fin juin quand un juge de la Cour fédérale a ordonné au gouvernement canadien de rapatrier M. Abdelrazik, tout en notant que les autorités canadiennes avaient violé les droits de leur citoyen en refusant de lui délivrer un passeport pour qu'il rentre au pays.

«Maintenant, je veux que ceux qui sont responsables pour ce qui m'est arrivé aillent devant la justice. Je ne veux pas qu'une autre personne vive la même chose», a lancé M. Abdelrazik à la fin de son témoignage. Ses avocats n'ont pas précisé quelle forme prendra sa requête. «Il est essentiel qu'il y ait reddition de comptes», a noté à ce sujet un de ses avocats, Yavar Hameed.

M. Abdelrazik avait à peine terminé sa conférence de presse jeudi que déjà, ses avocats recevaient des lettres des ministres Lawrence Cannon et Peter Van Loan déclinant une rencontre. Au téléphone, l'attaché de presse du ministre Cannon a cependant précisé que les Affaires étrangères étaient disposées à accompagner M. Abdelrazik dans les procédures entourant son retrait de la liste du comité 1267.

Dans sa réaction officielle, le SCRS a pour sa part dit avoir respecté la loi canadienne et les règlements qui le régissent dans sa gestion du cas d'Abousfian Abdelrazik.