La diffusion sur l'internet d'un court film anti-islam réalisé par un député d'extrême droite des Pays-Bas a fait craindre le pire aux autorités canadiennes l'an dernier.

C'est que le député Geert Wilders, qui est chef du Parti pour la liberté au Pays-Bas, avait réservé un site appartenant à une entreprise de Toronto, Inquent Technologies, une filiale du fournisseur d'accès internet américain Network Solutions, pour diffuser la vidéo controversée, Fitna («discorde» en arabe), en mars 2008.

 

Les autorités canadiennes craignaient que ce lien avec le Canada soit suffisant pour que des groupes extrémistes s'en prennent aux ambassades du Canada à l'étranger, à des ressortissants canadiens séjournant dans d'autres pays ou à des entreprises faisant affaire à l'étranger, révèlent des documents exclusifs obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Ottawa craignait même pour la sécurité des soldats canadiens en Afghanistan, les insurgés talibans ayant déjà fait savoir qu'ils cibleraient les soldats néerlandais en mission dans ce pays à la suite de la diffusion du court film critiquant l'islam, selon les documents du ministère des Affaires étrangères.

«Comme il y a un lien entre le Canada et Fitna (même si c'est un lien technique), il y a un risque important que le Canada devienne la cible des manifestations de violence résultant de la diffusion du film si ce lien devait être connu à grande échelle», affirme-t-on dans les documents datés de mars 2008.

«Au-delà du risque qui existe d'une réaction générale anti-Occident, les ambassades du Canada, les symboles, les entreprises et les citoyens canadiens pourraient être potentiellement visés si le Canada est vu comme étant responsable de la diffusion de Fitna», ajoute-t-on dans les documents.

Le gouvernement canadien n'avait toutefois jamais exprimé ses préoccupations publiquement l'an dernier.

Quelques semaines avant la diffusion du film, le gouvernement des Pays-Bas avait décidé d'augmenter son niveau d'alerte antiterroriste de plusieurs crans afin d'être prêt à toutes les éventualités. Les autorités néerlandaises avaient même jugé bon de surveiller toutes les apparitions publiques des parlementaires pour des raisons de sécurité.

D'aucuns redoutaient que la diffusion de ce film entraîne des vagues de violence semblables à celles provoquées dans certains pays arabes en 2005 par la publication de caricatures du prophète Mahomet dans la presse au Danemark. L'une de ces caricatures présentait le prophète avec une bombe dans le turban.

Fitna, film d'une quinzaine de minutes, présentait des images des attentats terroristes perpétrés à New York, à Madrid ou aux Pays-Bas sur fond de versets coraniques. Les images étaient entrecoupées de discours d'imams lançant un appel à la guerre sainte.

Même si la presse néerlandaise avait commencé à rapporter qu'une filiale torontoise de Network Solutions avait été retenue pour diffuser le film, le pire a finalement été évité.

C'est que Network Solutions a décidé le 23 mars 2008, soit quelques jours seulement avant la diffusion prévue du film attaquant l'islam et le Coran, de suspendre le site réservé (fitnamovie.com) par le controversé député néerlandais après avoir reçu un certain nombre de plaintes. L'entreprise avait expliqué vouloir vérifier si le site respectait ses règles de diffusion.

Le député Geert Wilders s'est finalement tourné vers le site de son parti et un site affilié à YouTube (www.liveleak.com) pour diffuser son court métrage le soir du 27 mars 2008 malgré les condamnations du gouvernement néerlandais.

La diffusion du film a été condamnée par le secrétaire des Nations unies, Ban Ki-moon, par plusieurs organisations islamiques, et par de nombreux pays musulmans comme l'Indonésie, le Pakistan, l'Iran et l'Afghanistan.

Le film n'a finalement pas provoqué les émeutes tant redoutées par le gouvernement néerlandais ou par d'autres pays comme le Canada. Toutefois, en janvier, les autorités néerlandaises ont déposé contre le député Geert Wilders des accusations d'incitation à la haine et à la discrimination après avoir notamment comparé le Coran au livre d'Adolf Hitler, Mein Kampf. Un procès devrait avoir lieu d'ici un an.

Avec la collaboration de William Leclerc