La voix au bout du fil exprime une souffrance insoutenable. «Je suis tanné de vivre comme ça. Je suis tanné de brailler. Je veux juste qu'on me soulage. Je veux voir mon docteur.»

L'homme qui parle ainsi s'appelle Richard Harnois. Il a 37 ans et constitue, à lui seul, une véritable encyclopédie médicale. Il est atteint du sida et d'hépatite C, il ne marche plus et il est incontinent.

Il souffre aussi de spasmes et de «chocs électriques» au cerveau. Quand ça se produit, ses phrases s'étranglent dans une sorte de grincement métallique. Il dit ressentir une douleur atroce.

Cette douleur et ces spasmes ne disparaissent jamais tout à fait. Mais Richard Harnois affirme qu'il souffrait beaucoup moins quand il recevait le cocktail de médicaments prescrit par son médecin, Jean Robert.

Le problème, c'est que l'Établissement Leclerc, la prison de Laval où il a échoué au printemps, ne lui permet de choisir ni son médecin, ni son traitement.

Le médecin affilié à la prison a changé le plan de soins de Richard Harnois. Plus d'interféron qui soignait son foie. Plus d'hydromorphine qui soulageait sa douleur. Plus de THC, l'extrait de cannabis qui contrôlait ses nausées.

M. Harnois a même dû se battre pour recevoir de l'eau distillée qui prévient ses plaies à la bouche. Ou des bananes qui atténuent ses diarrhées, et qui avaient été prescrites par le Dr Robert.

«C'est humiliant et dégradant», a dit Richard Harnois dans une conversation téléphonique avec La Presse, cette semaine.

Le patient dépérit

Ces dernières semaines, l'état de Richard Harnois s'est détérioré à un point tel qu'il a dû être dépêché à la Cité de la Santé de Laval, pour des examens neurologiques. Il y est toujours, sous la garde de gardiens de prison. Et il ne reçoit toujours pas le traitement prescrit par celui qu'il considère comme son médecin.

«C'est épouvantable ce que je vis, dit-il de sa voix entrecoupée de spasmes. J'ai des chocs électriques aux trois-quatre minutes, ça part dans les muscles des bras et ça monte jusque dans la tête.»

«Si je prenais mes anciens médicaments, c'est clair que j'aurais moins de tics.»

Richard Harnois n'est pas un enfant de choeur. Il a un passé de toxicomane et de petit criminel. Il y a deux ans, il a été condamné à plus de trois ans de prison pour une série de vols qualifiés. En libération conditionnelle depuis août 2008, il a été réincarcéré en avril pour bris de condition.

Mais Richard Harnois est aussi un très grand malade. «Ce patient dépérit à vue d'oeil, il requiert des soins palliatifs», estime son médecin, le Dr Jean Robert, qui a été dans le passé l'un des cofondateurs de la clinique Actuel.

Richard Harnois ne comprend pas pourquoi ces soins lui sont refusés. «J'ai fait des erreurs dans ma vie, mais je n'ai tué personne, dit-il. Ça a pas d'allure ce qu'ils me font, c'est moi qui souffre, c'est pas eux.»

Requête

Richard Harnois a intenté la semaine dernière une poursuite judiciaire contre le gouvernement fédéral, demandant qu'on lui permette d'être de nouveau suivi par son médecin.

«Nous croyons que le médecin qui le suit depuis 15 ans est la personne la plus compétente pour le soigner», dit son avocate, Isabelle Turgeon.

Elle a aussi déposé une requête en injonction interlocutoire, réclamant que le détenu puisse être suivi par son médecin en attendant l'issue du procès.

Le traitement infligé à Richard Harnois porte atteinte à la dignité humaine, il est cruel et inusité, et il contrevient à la Charte des droits et libertés, affirme la demande d'injonction.

«Mon client veut être suivi par SON médecin traitant, explique l'avocate, du cabinet Grey Casgrain. Il a le droit de choisir son médecin, il a un lien de confiance avec lui.»

Ce droit qui appartient aux gens libres ne doit pas disparaître derrière les barreaux, plaide-t-elle. «Pourquoi ce détenu serait traité différemment d'un autre patient? demande-t-elle. Les politiques carcérales doivent-elles dicter les actes professionnels des médecins?»

La soeur de Richard Harnois, Isabelle, se pose les mêmes questions, dans ses mots à elle. «Je pleure chaque fois que je vois mon frère. Il était mieux soigné avant. Le médecin qui l'a suivi s'en est toujours bien occupé, les autres sont en train de le maganer.»