D'un côté, deux femmes originaires des Philippines qui accusent la députée libérale Ruby Dhalla d'avoir abusé d'elles alors qu'elles travaillaient à son service comme aides familiales.

De l'autre, la députée elle-même qui assure que les deux dames ont eu droit à tous les égards, y compris des repas préparés par sa propre mère dont elles devaient prendre soin.

 

Qui a raison? Qui a tort? Peu importe, répondent des organisations qui s'intéressent au sort des domestiques immigrantes au Canada. Vraie ou colorée, l'histoire de Magdalene Gordo et Richelyn Tongson met au jour la vulnérabilité de milliers de femmes qui entrent au Canada par le truchement du Programme d'aides familiaux résidants (PAFR).

«Ce que ces femmes racontent ne représente pas un incident isolé, c'est ce que nous dénonçons depuis des années», a dit hier Joanne Vasquez, de l'Association des femmes philippines du Québec, qui a réclamé l'abolition de ce programme.

Magdalene Gordon et Richelyn Tongson, deux femmes originaires des Philippines, affirment avoir été exploitées par la famille Dhalla, qui les aurait embauchées illégalement pour prendre soin de la mère de la députée ontarienne.

Ruby Dhalla répond qu'elle n'était pas vraiment leur patronne et qu'elle les a toujours traitées avec «amour, considération, compassion et respect.»

Ce «nannygate» a ravivé le débat sur le programme d'aides familiaux qui permet à des milliers de femmes d'immigrer au Canada, après avoir cumulé 24 mois de travail d'aide familiale «au pair».

Environ 13 000 personnes détiennent ce statut au Canada, dont 1500 au Québec. Il s'agit presque exclusivement de femmes. Elles viennent, en grande majorité, des Philippines.

Défaillances

«Ce programme a d'énormes défaillances», dénonce Alexandra Pierre, directrice de l'Association des aides familiales du Québec.

L'association reçoit chaque année un demi-millier d'appels de femmes qui se plaignent de ne pas pouvoir prendre de jours de congé, d'avoir de la difficulté à faire rémunérer leurs heures supplémentaires, ou de subir du harcèlement psychologique de la part de leurs employeurs.

Le problème, c'est que les aides familiales doivent accumuler 24 mois de travail en trois ans, avant de pouvoir faire une demande de résidence permanente. Et que pendant cette période, elles sont tenues de vivre chez leur employeur.

Quand les choses tournent mal, elles se retrouvent dans une situation de grande précarité: non seulement elles risquent de perdre leur emploi et leur maison, mais elles mettent aussi en péril leurs chances d'immigrer au Canada.

«Pendant deux ans, elles ne peuvent pas trop chialer», dit Louise Langevin, juriste de l'Université Laval, auteure d'un rapport sur la situation des aides familiales.

Elle aussi plaide en faveur de l'abolition du programme adopté en 1992 pour répondre à une pénurie de main-d'oeuvre.

Le Canada avait alors conclu avec les aides domestiques une sorte d'échange de bons procédés: vous vous engagez à rester deux ans chez votre employeur, et vous aurez droit de vous établir au Canada.

Le programme canadien marque un progrès sur les pratiques en vigueur ailleurs sur la planète, admet Louise Langevin, selon qui il est rare que des pays industrialisés permettent à ces travailleuses de devenir des citoyennes à part entière.

Mais elle ne comprend pas pour autant sa raison d'être. «S'il y a une pénurie de personnel domestique, on n'a qu'à les faire entrer par la porte d'en avant, comme d'autres immigrants», soutient-elle.

Dans la situation actuelle, ces femmes dépendent de leurs employeurs et constituent des proies faciles pour ceux qui décident d'abuser de leur vulnérabilité, souligne-t-elle.

Il y a cinq ans, le Québec a étendu la protection des normes minimales aux aides familiales, dont les conditions de travail sont maintenant encadrées. Le problème, c'est que personne ne va sur les lieux de travail vérifier si ces conditions sont respectées, signale Alexandra Pierre. «Ces femmes sont isolées et elles ne sont pas enclines à porter plainte.»

Le comité permanent sur la citoyenneté et la sécurité, qui se penche cette semaine sur le «nannygate» de Ruby Dhalla, a d'ailleurs reçu la semaine dernière un rapport qui recommande d'assouplir les exigences imposées aux aides familiales venues de l'étranger.