Quand elle a su que Faron Hall avait sauvé un garçon de la noyade dans la rivière Rouge, Sarah Enns était à peine surprise. Elle connaît bien ce sans-abri qui a souvent utilisé les services de la Siloam Mission, le refuge où elle travaille à Winnipeg.

«Faron Hall a toujours été affable, digne, et il était souvent prêt à aider les autres», se rappelle-t-elle.

Dans une autre vie, Faron Hall travaillait comme professeur adjoint dans une école secondaire. Il y a sept ans, à la suite d'une série de tragédies personnelles, il a rejoint les 2000 sans-abri qui vivent dans la rue, à Winnipeg.

Dimanche, il était assis sur la berge de la rivière Rouge quand il a vu des adolescents faire la course sur le pont Provencher qui enjambe le cours d'eau. Un des garçons a tenté de rejoindre la traverse pour piétons qui longe le pont. Mais il n'avait pas vu la faille entre les deux structures et a plongé dans les eaux gonflées de la rivière.

Faron Hall n'a pas hésité une seconde à sauter dans l'eau glaciale, pour remonter le courant et sauver le garçon. Ce n'était pas évident. Pris de panique, ce dernier se débattait tellement qu'il a dû le frapper. Ils sont finalement arrivés tous les deux sains et saufs sur la berge.

Depuis, la vie de Faron Hall a viré sens dessus dessous. Plus question de dormir sur son banc écaillé, emmitouflé dans des couvertures. Transformé en héros, il voit défiler journalistes et caméras, reçoit des hommages et multiplie les entrevues. L'essentiel de son message se résume en quelques mots: «J'ai fait de mon mieux, c'est tout.»

Comme Susan Boyle?

Son «mieux» lui a valu de nombreux témoignages de reconnaissance. Hier, le maire de Winnipeg, Sam Katz, lui a personnellement remis une médaille. La veille, il lui avait offert un abonnement pour les Goldeyes, l'équipe de baseball locale. Des membres de sa famille l'ont retrouvé après l'avoir vu à la télévision. Une cousine doit l'amener ces jours-ci à la rencontre de son père, qu'il n'a pas vu depuis une décennie.

«Il est un peu dépassé par la situation», dit Sarah Enns, qui l'a brièvement revu au cours des derniers jours.

L'histoire de Faron Hall a ému le pays entier. À la Siloam Mission, on espère qu'elle contribuera à combattre les préjugés que la majorité entretient à l'égard des sans-abri. Mais en même temps, on se dit que la soudaine célébrité de Faron Hall est aussi, justement, révélatrice de ces préjugés...

Car si les gens sont si surpris d'avoir vu Faron Hall faire preuve de courage et d'humanité, c'est parce qu'ils présument que les sans-abri sont dépourvus de ces qualités, souligne le directeur du refuge, John Mohan.

D'une certaine manière, l'histoire de Faron Hall lui rappelle celle de Susan Boyle, cette quadragénaire qui a étonné le monde par son chant dans une émission de télévision britannique. «Les gens pensent que si on n'a pas l'air d'une vedette d'Hollywood, on ne peut pas bien chanter, et ils présument que les sans-abri ne font rien de bon. Mais c'est juger le livre à sa couverture», dit John Mohan.

Il est un peu choqué de voir que le geste de Faron Hall est jugé particulièrement héroïque parce qu'il a été fait par un alcoolique qui vit dans la rue. «Bien sûr qu'on doit l'applaudir. Mais ni plus ni moins qu'un geste héroïque fait par n'importe qui d'autre.»

John Mohan espère que cette histoire contribuera à changer l'image des sans-abri à Winnipeg. C'est aussi ce que souhaite Gordon Sinclair, chroniqueur au Winnipeg Free Press. Il y a quelques années, il avait croisé Faron Hall à l'hôtel de ville et s'était rendu dans son «camp» près de la rivière. Il en avait tiré un article où il racontait la vie de cet autochtone qui a dérapé après que sa mère, puis sa soeur, eurent été assassinées.

«Je me souviens de lui comme d'un homme sympathique, chaleureux, qui faisait preuve de dignité.»

Winnipeg compte 2000 sans-abri, et 80% d'entre eux sont des Amérindiens qui ont quitté une réserve pour tenter leur chance en ville. Ils ont de la difficulté à trouver du travail et à se loger, et ils ont souvent des problèmes de santé mentale et d'alcoolisme.

«La plupart des gens ne leur parlent pas, ils les évitent et ils en ont peur», dit Gordon Sinclair.

Mais peut-être cette histoire améliorera-t-elle, au moins, le sort de Faron Hall. Pour l'instant, ce dernier est un peu abasourdi par l'intérêt qu'il suscite dans les médias. Et quand on lui demande s'il veut changer de vie, il répond: «Un pas à la fois.»