Les pays où les dépenses militaires excèdent le budget de l'éducation devraient être privés d'aide au développement. Les gouvernements corrompus au point de causer une pauvreté généralisée devraient être poursuivis pour crimes contre l'humanité.

L'Iranienne Shirin Ebadi, Prix Nobel de la paix en 2003, a lancé ces deux propositions au Sommet du millénaire qui a réuni un concentré de stars pendant deux jours à Montréal.

 

La militante des droits de l'homme faisait face à une forte concurrence au Palais des congrès, hier. Au moment même où elle exposait son projet de «traité pour l'éradication de la pauvreté», les journalistes étaient rassemblés autour de la comédienne Mia Farrow, venue lancer un nouvel appel pour sauver le Darfour.

Même si elle a soulevé des applaudissements dans l'audience, la proposition de Mme Ebadi est donc passée un peu inaperçue. C'est pourtant l'une des suggestions les plus concrètes à émaner de cette troisième rencontre internationale destinée à donner un coup de fouet à la lutte contre la pauvreté extrême et les maux qu'elle traîne dans son sillage.

«J'ai constaté que les pays où l'on rencontre le plus de pauvreté ont en commun deux phénomènes: la corruption et des dépenses militaires très élevées», a expliqué Shirin Ebadi.

Elle estime que l'aide au développement devrait être conditionnelle à des progrès dans ces deux domaines. La récompense suprême serait accordée aux pays qui accepteraient de dissoudre leur armée: leur dette extérieure serait carrément effacée.

«Je sais que nous vivons dans un monde où la fabrication d'armes fait vivre de grosses industries, et que mes idées vous paraissent aujourd'hui comme un rêve, a-t-elle admis d'emblée. Mais il y a 60 ans, l'élection d'un président noir aux États-Unis était aussi un rêve.»

Gros recul

Shirin Ebadi aimerait soumettre son projet de traité anti-pauvreté à l'Assemblée générale de l'ONU. La vice-secrétaire générale de l'ONU, Asha-Rose Migiro, a préféré ne pas commenter sa suggestion.

Elle a toutefois reconnu que le combat visant à faire fondre de moitié le nombre de personnes confinées à une pauvreté extrême a besoin d'un sérieux coup d'accélérateur.

En 2000, les Nations unies s'étaient donné jusqu'en 2015 pour atteindre cet objectif. Hier, Mme Migiro a dit que la crise économique a déjà eu un impact dévastateur sur les pays en voie de développement. Et que ce n'était pas fini.

Déjà, 53 millions de personnes sont retombées dans un état de pauvreté et 46 autres millions risquent de les rejoindre cette année, a-t-elle estimé. Ce recul est dû à une combinaison de facteurs: hausse des prix alimentaires, dérèglement climatique, mais aussi baisse des exportations vers les pays riches, déclin des investissements étrangers, ralentissement du tourisme.

Mme Migiro demeure convaincue que l'objectif fixé en 2000 peut toujours être atteint si les pays donateurs, dont le Canada, finissent par respecter leurs engagements. Si on a pu réunir plus de 3000 milliards de dollars pour relancer l'économie chancelante des États-Unis, on peut bien trouver les 1000 milliards dont ont besoin les pays les plus pauvres de la planète, clame-t-elle.

Car c'est bien là le message principal de ce troisième Sommet du millénaire: de l'argent, il n'en faut pas tant que ça pour arracher les plus démunis à leur état d'indigence. De Mia Farrow à Ginette Reno, de Luck Mervil à la duchesse Sarah Ferguson, le mantra de la rencontre était le suivant: faites pression sur vos gouvernements pour qu'ils ouvrent le robinet de l'aide internationale.

Soigner un enfant ne coûte que 13$ à l'hôpital ougandais fondé par la Québécoise Lucille Teasdale et son mari Piero Corti, a fait valoir leur fille Dominique Corti.

«On croit que ça coûte cher d'aider l'Afrique, moi je dis que ce n'est pas vrai. Il faut faire de petits gestes, mais il faut les faire tous les jours», a-t-elle plaidé.