La loi controversée adoptée en catimini par le gouvernement d'Hamid Karzaï, violant les droits des femmes mariées de la minorité chiite en Afghanistan, pourrait être revue, à laisser entendre hier l'ambassadeur afghan au Canada, Omar Samad.

En entrevue à La Presse Canadienne, puis à CTV, M. Samad a dit comprendre les préoccupations des autorités canadiennes et a vanté les progrès accomplis en matière de respect des droits, notamment ceux des femmes, dans cette «démocratie jeune et très fragile» qu'est l'Afghanistan.

 

Hier, des hauts fonctionnaires du gouvernement de Stephen Harper ont convoqué l'ambassadeur pour exprimer leur indignation face à ce qui est considéré comme un recul important des droits des femmes. La loi controversée interdirait notamment aux femmes chiites de refuser des rapports sexuels à leur mari.

«Chaque article de la loi doit être regardé, évalué et interprété. Les documents juridiques peuvent s'avérer parfois complexes, a dit l'ambassadeur Samad sur les ondes de CTV. C'est ce que le gouvernement fait à l'heure actuelle. Ils ont aussi demandé à la société civile d'y jeter un coup d'oeil, pour que des organisations indépendantes du gouvernement puissent donner leur avis. Il y a un processus en place à Kaboul en ce moment.»

Des informations contradictoires ont circulé toute la semaine à savoir si le texte législatif, signé par le président, avait déjà force de loi en Afghanistan. Même l'ambassadeur Samad n'a pu répondre précisément à la question, se contentant de dire qu'il avait demandé au gouvernement de Kaboul des «clarifications» sur le statut actuel de la loi et le processus prévu pour la suite des choses.

Mais pour l'organisme Droits et démocratie, qui collabore depuis 2007 au processus de réforme du code de la famille en Afghanistan, la loi est déjà en vigueur.

«C'est vraiment un pas dans la mauvaise direction», a soutenu Alexandra Gilbert, coordonnatrice du projet Droits des femmes en Afghanistan, jointe par téléphone à Kaboul.

«C'est une loi qui ne respecte aucunement les engagements internationaux pris par le gouvernement afghan. Le danger, c'est que ça crée un précédent, a-t-elle ajouté. D'une certaine façon, ça vient légaliser des pratiques qui existent en Afghanistan, et qui sont basées sur la loi coutumière. Et ça, c'est extrêmement inquiétant.»

Autant le gouvernement canadien que les groupes de défense des droits sur le terrain affirment avoir été pris au dépourvu par l'adoption ultra-rapide de cette loi.

«J'étais en Afghanistan il y a deux ou trois semaines et les fonctionnaires, la population, n'étaient même pas au courant de cette législation», a soutenu le ministre du Commerce international et président du comité ministériel sur l'Afghanistan, Stockwell Day. Le ministre répondait ainsi au critique libéral en matière d'affaires étrangères, Bob Rae, qui trouve étonnant que la communauté internationale n'ait pris connaissance seulement cette semaine d'une loi introduite en février.

«Comment est-il possible qu'il n'y ait eu aucun commentaire de la part du Canada et des autres pays de l'Ouest au moment où la loi était en train d'être considérée par le Parlement afghan?» s'est interrogé Bob Rae.

«Je pense qu'on a tous été pris de court», a souligné Michael Wodzicki, directeur adjoint de Droits et démocratie.

Il existait, dit-il, deux ébauches du texte de loi qui circulaient: une plus progressiste, sur laquelle Droits et démocratie avait travaillé; et une plus conservatrice, promue par une frange plus radicale de la population afghane.

«De toute évidence, c'est la version plus conservatrice qui a été adoptée, avec comme résultats qu'il y aura violations des droits des femmes, a estimé M. Wodzicki. Ça a été un processus super rapide et pas transparent.»

Pour le critique libéral en matière d'affaires étrangères, Bob Rae, les propos de l'ambassadeur n'ont rien de rassurants.

«La réalité de la situation, c'est qu'il y a une loi qui, clairement, menace les libertés des femmes, les droits des femmes et pour nous, c'est complètement inacceptable au moment où nous luttons aux côtés des forces afghanes», a dit M. Rae.