Deux ingénieurs spécialisés dans l'aménagement de projets de transports en milieu urbain estiment que les grands projets autoroutiers en cours dans la métropole vont favoriser la banlieue au détriment de Montréal, et accélérer le rythme des déplacements automobiles en ville.

Les deux ingénieurs sont invités par la Direction de la santé publique de Montréal pour présenter «une nouvelle vision du développement routier pour Montréal», à l'occasion d'un atelier de travail portant sur la «requalification des autoroutes urbaines», qui se tient aujourd'hui dans la métropole.

 

À l'occasion d'une «visite guidée» du réseau autoroutier montréalais, mercredi, les ingénieurs Ian Lockwood et Paul Moore, d'Atlanta, ont durement critiqué les projets routiers prévus par le ministère des Transports du Québec (MTQ) pour régler les problèmes de la congestion routière dans l'est de Montréal, tout comme la reconstruction de l'échangeur Turcot, dans le sud-ouest de la ville.

«Je n'ai jamais vu une ville réussir à régler un problème de congestion en élargissant ses autoroutes», a affirmé M. Lockwood, en réaction au projet de modernisation de la rue Notre-Dame, qui transformera cette artère majeure de l'est, qui compte quatre voies de circulation, en boulevard de huit voies de largeur (quatre par direction), entre l'autoroute 25 et le centre-ville de Montréal.

Pour sa part, M. Moore a estimé que la construction du nouveau pont entre Montréal et Laval, dans le prolongement de l'autoroute 25 (A-25), «va faire mal à Montréal».

«La construction d'une route à grande vitesse mène presque toujours à un transfert de richesse, de l'endroit où elle a été construite, vers l'endroit où elle conduit, a affirmé M. Moore. Les terrains à développer du côté de Laval vont s'urbaniser très rapidement. En contrepartie, la qualité de vie dans les quartiers traversés par l'autoroute sera très difficile à maintenir à mesure que la circulation va augmenter.»

L'un et l'autre estiment enfin que le projet de reconstruction de l'échangeur Turcot, dans le sud-ouest de Montréal, accentuera «l'impression d'isolement» de la population des quartiers situés en périphérie de l'échangeur, à cause de la présence de hauts remblais qui cacheront toute vue extérieure aux quartiers.

Joint par La Presse, hier, le MTQ n'a pas commenté les déclarations des deux ingénieurs.

Le sous-ministre adjoint et responsable de la région métropolitaine au MTQ, Jacques Gagnon, sera présent à l'atelier de travail et y présentera pour sa part l'ensemble «des projets actuels de développement routier et autoroutier dans la région de Montréal».

Tir groupé sur le MTQ

Ces affirmations sur les impacts appréhendés des projets autoroutiers totalisant plus de 3,5 milliard qui sont prévus dans la métropole d'ici 2015, surviennent au moment même où le Vérificateur général du Québec critique aussi «la planification actuelle du MTQ à l'égard du transport des personnes et des marchandises», dans un rapport publié mercredi.

Le vérificateur général demande notamment au MTQ une «meilleure prise en compte des incidences à court terme sur la santé, le contexte social, l'économie, l'environnement et l'utilisation des ressources naturelles» dans la conception de ces projets d'infrastructures de transport dans la grande région de Montréal.

«Montréal a la réputation d'être une cité vibrante, attirante, assure Ian Lockwood. Si on favorise une conception plus conviviale des infrastructures routières, un design qui sert mieux la vie urbaine, au lieu de permettre de la traverser à 100 km/h, Montréal pourrait joindre les rangs de Paris et Barcelone, comme des modèles d'aménagement.»

Pour sa part, l'ingénieur Paul Moore, qui a présidé au démantèlement d'une autoroute d'Atlanta dans le cadre d'un vaste projet de réaménagement urbain, a semblé impressionné par l'ampleur du projet de reconstruction de l'échangeur Turcot, qui coûtera 1,5 milliard et s'étendra sur sept ans, dans le sud-ouest de Montréal.

«C'est vraiment énorme, a commenté l'ingénieur interrogé par La Presse. Il y a certainement eu des impacts historiques, sociaux et économiques sur la vie des quartiers lorsque cette «chose» a été construite ici il y a 40 ans. Comme si on avait élevé une barrière géographique entre les quartiers.»

«Je ne peux pas m'empêcher de penser qu'avec le projet prévu pour la reconstruction, ce sera pire, conclut-il. On ne pourra plus voir au travers des remblais, qui vont remplacer les piliers de béton. Je ne connais pas assez les détails du projet, notamment sur les accès qui seront créés pour maintenir la circulation de part et d'autre des remblais, ou d'un quartier à l'autre. Mais je crois que ces constructions vont accentuer le sentiment d'isolement» dans la population locale.