«Dans mon école de Saint-Michel, si tu ne te bats pas, tu n'as pas d'amis. La violence est comme une forme de jeu. C'est rentré dans notre vie.»

Shaina, 13 ans, est venue raconter devant des élus de Montréal son quotidien dans une école secondaire publique du quartier Saint-Michel, hier soir, lors de la première séance de consultation publique de la Ville de Montréal sur le sentiment de sécurité de la jeunesse montréalaise. Soixante-quinze jeunes étaient présents à cette première de trois séances de consultation publique prévues ce mois-ci. La rencontre s'est tenue dans le quartier Saint-Michel, voisin de Montréal-Nord où ont éclaté des émeutes en août dernier à la suite de la mort d'un jeune lors d'une intervention policière.

 

«Le problème, c'est les couleurs. Si tu vas dans Montréal-Nord et que tu portes du bleu, c'est sûr que tu vas te faire agresser», a-t-elle lancé aux membres de la Commission de la sécurité publique de la Ville, coorganisateur de la rencontre, avec le Conseil jeunesse de Montréal.

Shaina s'est souvent fait intimider dans son quartier. «Une fois, j'étais avec un ami dans un parc et des criminels l'ont frappé à coups de bâton. Un gros bâton», a-t-elle raconté. Shaina fréquente une maison de jeunes située près de la 47e Rue, artère où la police de Montréal a fait plusieurs arrestations ces dernières années liées au trafic de drogues d'un gang de rue associé aux Bleus.

«Parfois, tu passes dans un parc. Des gens essaient de te vendre du crack. Ils veulent t'amener quelque part où tu n'as pas envie», a ajouté un ami de Shaina, Pierre Divinson, 13 ans. «Ouais, tu ne sais jamais qui va sortir une arme dans la rue. Les parcs devraient être mieux surveillés», a ajouté Steph, 13 ans. Ce dernier cache son uniforme bleu obligatoire à son école secondaire quand il prend l'autobus qui traverse le quartier voisin, Montréal-Nord, associé au gang de rue des Rouges.

Pierre Divinson a aussi pris la parole pour dénoncer le profilage racial dont il est victime. «Des adultes font du profilage racial. Ils nous insultent juste parce qu'on est habillé hip-hop, ils nous prennent pour des membres de gangs de rue», a-t-il raconté. «Moi, quand je rentre dans un magasin avec des pantalons larges, je me fais suivre par des agents de sécurité», a ajouté Shaina.

L'intervenante jeunesse qui les accompagnait, Oumou Salani Kane, a demandé des améliorations à l'aménagement urbain. «Les parcs et les rues de Saint-Michel n'ont rien à voir avec ceux de Mont-Royal», a-t-elle résumé.

La conseillère de Saint-Michel, Soraya Martinez, a senti le besoin d'intervenir après avoir entendu les propos des jeunes de son quartier. «C'est vrai qu'il faut faire la différence entre des jeunes qui jouent dans un parc et ceux qui font des actes criminels», a dit l'élue municipale. Mme Martinez croit que les médias ont un rôle à jouer dans le sentiment de sécurité des jeunes. «L'une des équipes de basket du quartier est la meilleure au Québec, mais ça, ça ne fait pas la une des journaux», a-t-elle déploré. La conseillère a aussi souligné les efforts de la police et des organismes du quartier pour améliorer la qualité de vie des résidants. «Dans Saint-Michel, les policiers connaissent les jeunes par leur prénom. Ce que ça donne? Dans les parcs, les jeunes ne se sauvent pas quand la police arrive», a-t-elle souligné.

Pour Priscille, jeune intervenante à la maison de jeunes Culture X de Montréal-Nord, les policiers ont encore du travail à faire. «Les jeunes vivent beaucoup de répression. Parfois ça déborde. Les événements de Montréal-Nord ont aggravé leurs perceptions négatives de la police», a-t-elle souligné.

Le conseiller de Montréal-Nord, Jean-Marc Gibeau, membre de la Commission de la sécurité publique, a aussi blâmé les médias pour le sentiment d'insécurité ressenti par les jeunes Montréalais. «Il va falloir se battre encore 10 ans pour faire changer la perception de Montréal-Nord», a-t-il déploré.

Avec ces consultations publiques, la Ville cherche à comprendre pourquoi les jeunes ne se sentent pas en sécurité à Montréal, alors que le taux de criminalité est en baisse. Depuis les 10 dernières années, le taux de criminalité a diminué de 29%, selon le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Or, cette réduction semble avoir peu d'impact sur le sentiment de sécurité des Montréalais, et en particulier sur celui des jeunes, a indiqué le président la Commission de la sécurité publique de la Ville de Montréal, Claude Dauphin, à l'ouverture de la séance.

En plus de nombreux élus, le SPVM avait dépêché un assistant-directeur et le commandant du quartier Saint-Michel pour écouter les doléances des jeunes.

La prochaine consultation se tiendra aujourd'hui à 18h à l'UQAM. Une autre aura lieu le mercredi 25 mars dans Côte-des-Neiges.