Les Américains ont décidé de resserrer la surveillance de leur flanc nord en envoyant des drones patrouiller dans le ciel des États limitrophes des provinces canadiennes.

Appareils sans pilote munis de caméras, de radars et de capteurs, les drones devraient commencer dans les prochains jours à patrouiller à la frontière qui sépare le Dakota-du-Nord et le Manitoba. Avec le temps, il y en aura tout le long de la frontière canado-américaine. Leur travail: repérer les immigrants illégaux, contrebandiers de drogue et terroristes qui pourraient essayer d'entrer en territoire américain.

Cette initiative s'ajoute à une directive que vient de lancer la nouvelle secrétaire du département de la Sécurité intérieure (Homeland Security - DHS) des États-Unis, Janet Napolitano, qui veut revoir l'ensemble des programmes et des mesures de sécurité le long de la frontière avec le Canada.

«Depuis le 11 septembre 2001, la frontière nord des États-Unis est devenue importante pour notre sécurité nationale. Alors que nous avons mis sur pied des programmes pour nous assurer d'une plus grande protection contre les entrées illégales, des membres du Congrès et des experts en sécurité intérieure ont demandé une augmentation de la surveillance de la frontière canadienne», indique un communiqué du DHS.

Plus concrètement, le département américain entend revoir les points vulnérables, la stratégie globale pour les sécuriser, les besoins et les budgets, établir un calendrier de travail pour mettre de nouvelles mesures en place, etc.

Un rapport doit être remis à Mme Napolitano le 17 février, deux jours avant la visite officielle de Barack Obama au Canada.

Canada-Mexique: même combat?

Ces drones sont un héritage de l'ère Bush, marquée par les attentats du 11 septembre 2001 et l'adoption d'une pléthore de mesures de sécurité. Dès 2005, les Américains ont d'ailleurs commencé à patrouiller à la frontière américano-mexicaine avec ces engins. Ils affirment que, à ce jour, cela a permis de saisir des tonnes de drogues et de renvoyer chez eux quelque 4000 immigrants illégaux. À l'opposé, leurs détracteurs dénoncent les risques de dérapage, comme lorsqu'un de ces appareils s'est écrasé sur une résidence de l'Arizona, sans faire de victimes, en 2006.

Les drones, des Predator B construits par le géant militaire General Atomics, coûtent 10 millions de dollars l'unité. Les États-Unis et leurs alliés en Afghanistan et en Irak utilisent d'autres modèles. Les Forces canadiennes en possèdent aussi dans la région de Kandahar.

Aux États-Unis, l'annonce des patrouilles au nord a suscité des commentaires favorables dans les journaux des villes frontalières. «Franchement, le département de la Sécurité intérieure et ses prédécesseurs ont toujours accordé peu d'attention à la frontière nord», indiquait mardi le Bellingham Herald, quotidien d'une ville de l'État de Washington, à une trentaine de kilomètres au sud de la Colombie-Britannique.

Le journal rappelait que, à la veille de l'an 2000, la menace était venue du Nord avec l'arrestation du terroriste Ahmed Ressam, qui planifiait un attentat à l'aéroport de Los Angeles. Ce dernier avait été arrêté alors qu'il s'apprêtait à franchir la frontière avec des explosifs cachés dans le coffre de sa voiture.

De leur côté, les autorités américaines tentent de se faire rassurantes au sujet de ces drones. «Nous n'allons pas surveiller ce qui se passe au Canada... Le seul moment où nous pourrions filmer du côté canadien, c'est si une menace sur notre territoire déborde du côté canadien», a récemment affirmé un porte-parole de la U.S. Customs and Border Protection au quotidien La Tribune de Sherbrooke.

Les drones ne devraient pas non plus être armés comme ceux utilisés dans les zones de conflits.

Une bonne chose

Comment accueillir ces initiatives américaines? Doit-on y voir une militarisation de la frontière? La Presse a posé la question à trois experts, selon qui il ne faut pas s'en faire.

«Que la nouvelle secrétaire à la Sécurité intérieure se mette au parfum des questions frontalières est un signe de changement d'administration», mentionne Pierre Martin, professeur titulaire de Sciences politiques et directeur de la chaire d'études politiques et économiques américaines de l'Université de Montréal.

Il voit aussi dans ce geste une tactique politique. «Les démocrates veulent donner l'image d'une administration qui se préoccupe de sécurité. Ils ne veulent pas laisser tout l'espace aux républicains dans ce domaine.»

À Washington, Christopher Sands, associé principal à l'institut de recherche Hudson, croit qu'un examen des faiblesses de la frontière sera profitable. «La frontière canado-américaine est en bonne partie constituée de zones non habitées, dit-il. Il y a déjà eu des améliorations aux points d'entrée officiels (les douanes), mais dans ces endroits reculés, nous sommes encore très vulnérables.»

Il cite le cas de terroristes qui, à la fin des années 90, planifiaient des attaques sur Manhattan avec des bombes artisanales. Ils ont tenté de traverser aux États-Unis par des pistes dans les parcs nationaux mais ils ont plusieurs fois été refoulés.

Martin Cauchon, ancien ministre canadien de la Justice et responsable de ce qu'on appelait alors l'Agence des douanes et du revenu, rappelle que les questions de sécurité aux frontières ne datent pas d'hier. Les deux pays avaient entamé des discussions à ce sujet avant même les événements du 11 septembre 2001.

«Il faut maintenir un équilibre sans compromis entre le commerce et la sécurité, dit-il. Ce que je vois, ce sont les faits et gestes d'une nouvelle administration. Je trouve ça normal. Et je trouve heureux que ça ait lieu maintenant, car ça devrait être un élément prioritaire à l'ordre du jour de la rencontre entre le président Obama et le premier ministre Harper.»