En vigueur depuis le printemps dernier, une nouvelle procédure des Nations unies oblige chacun des 192 pays membres, sans exception, à défendre son bilan en matière de droits de la personne devant ses pairs. Le Canada a subi hier son tout premier examen. Et il n'a pas été de tout repos, au dire des observateurs.

Les droits des membres des Premières Nations ont été au coeur de la période de questions qui a suivi la présentation du rapport national du Canada hier à Genève. Sur les 47 pays qui ont pu interroger le représentant du Canada dans le cadre de l'examen périodique universel au Conseil des droits de l'homme, 35 ont soulevé des inquiétudes à l'égard du sort de la population autochtone au Canada.

De nombreux pays, dont l'Autriche, le Mexique et la Norvège, ont enjoint au Canada de revenir sur sa décision pour soutenir la Déclaration sur les droits des peuples autochtones, adoptée en 2007 par le Conseil des droits de l'homme. À l'époque, le Canada avait été l'un de quatre pays à voter contre le document.

Dans son allocution, le sous-ministre de la Justice, John Sims, qui a pris la parole au nom du gouvernement Harper, a défendu le bilan canadien et rappelé que le Canada ne peut adopter la déclaration sur les droits des peuples autochtones parce «qu'elle ne prévoit pas un équilibre entre les droits des autochtones et des non-autochtones».

Avant même de recevoir les questions des délégations, le sous-ministre Sims a reconnu que le refus canadien de se rallier est impopulaire aux Nations unies. «Nous savons que la position du Canada a entraîné des réactions négatives, mais nous aimerions rappeler que nous voulons respecter nos engagements à l'endroit de notre population autochtone», a exposé le sous-ministre lors de son discours d'introduction de 20 minutes.

L'adoption de la déclaration onusienne n'a pas été l'unique préoccupation mise de l'avant à l'égard des Premières Nations. Présente à Genève au nom de l'Association canadienne des femmes autochtones, Céleste McKay s'est réjouie hier de voir que 16 pays ont questionné le Canada sur la violence que subissent les femmes autochtones. Selon les données compilées par l'organisation qu'elle représente, les femmes autochtones au Canada sont cinq fois plus à risque que le reste de la population féminine d'être victimes de violence conjugale ou de mourir d'une mort violente.

«Le grand nombre de points soulevés par les autres pays démontre que la question des droits autochtones est le talon d'Achille du Canada, qui se dit champion des droits de l'homme. Il est clair à Genève que cette réputation est en pleine érosion», affirmait hier Mme McKay, jointe par La Presse.

À l'instar de l'Association des femmes autochtones du Canada, plusieurs organisations non gouvernementales, dont Amnistie internationale et la Ligue des droits et libertés, ont fait le voyage pour assister à l'examen périodique du Canada. Elles étaient contentes de constater que les rapports indépendants qu'elles ont présentés dans le cadre de l'exercice ont inspiré les questions des pays qui sont intervenus. «Nous sommes heureux de voir que plusieurs pays ont demandé au Canada de mettre sur pied un mécanisme de suivi pour mettre en place les recommandations de l'ONU. Il y en a eu beaucoup dans les dernières années, mais elles sont restées lettres mortes», a noté Vincent Greason de la Ligue des droits et libertés. Il croit cependant que dans l'ensemble, plusieurs pays ont été complaisants à l'égard du Canada pour des raisons diplomatiques.

Coup de gueule iranien

Si la majorité des pays qui ont pris la parole hier ont eu de bons mots pour le bilan général du Canada en matière des droits de la personne, quelques-uns ont profité de la tribune offerte par l'examen périodique pour régler des comptes.

L'Iran, qui entretient des relations diplomatiques très froides avec le Canada depuis la mort de la photographe montréalaise Zahra Kazemi dans une prison de Téhéran, a demandé hier au sous-ministre Sims pourquoi le Canada avait été le seul pays à voter contre une résolution sur les violations des droits de l'homme à Gaza. «Comment le Canada peut-il expliquer ses deux poids deux mesures?» a demandé Farhad Mamdouhi.

À la fin de plus de deux heures de questions et de réponses, le sous-ministre John Sims a conclu l'examen périodique en remerciant ceux qui ont pris part au «dialogue». «Nous allons examiner les recommandations que vous avez mises de l'avant et qui nous seront présentées», a noté le haut fonctionnaire.

Ces recommandations seront remises au Canada dès demain par trois pays qui ont été désignés pour rendre compte de l'examen périodique du Canada, soit le Royaume-Uni, le Bangladesh et l'Azerbaïdjan. Ces derniers sont responsables de condenser l'ensemble des commentaires et suggestions des pays membres. Une fois saisi des recommandations, le Canada disposera de quatre mois pour préparer sa réplique et pour élaborer un plan d'action pour répondre aux inquiétudes de la communauté internationale.

Un examen inéluctable

Le Canada est un habitué des examens devant l'ONU. Signataire de la plupart des déclarations, traités et protocoles internationaux en matière de droits de la personne, le Canada s'explique devant des comités d'experts indépendants depuis près de 60 ans. Mais la procédure d'examen périodique universel (UPR) qu'il a subie hier était une première. Mis en place l'an dernier par le Conseil des droits de l'homme qui a remplacé la Commission des droits de l'homme, l'UPR est une mesure obligatoire pour tous les pays, qu'ils aient ratifié ou non les grandes ententes internationales. Certaines dictatures, comme la Libye, qui ont échappé pendant des années à la vigilance internationale, ne pourront faire faux bond au processus. Cependant, l'UPR n'est pas confié à des experts du droit, mais à des diplomates qui représentent les intérêts de leurs pays respectifs. Chaque membre des Nations unies sera tenu de refaire l'exercice tous les quatre ans et devra démontrer les progrès réalisés d'un examen à l'autre.