Le principal lieu de rencontre à Kitcisakik, c'est le restaurant-dépanneur qui sert des repas chauds le midi. Le candidat libéral d'Abitibi-Est, Pierre Corbeil, y est passé serrer quelques mains, à une semaine du dernier scrutin provincial, début décembre.

«Elle attend son village !», lui a lancé le chef du conseil de Kitcisakik, Edmond Brazeau, en brandissant Waseya, sa fillette de 18 mois.

Un nouveau village, c'est le rêve de tous les habitants de Kitcisakik. Mais pas à n'importe quel prix... Car cette petite communauté a longtemps refusé d'entrer dans le moule de la «réserve indienne». Et une partie de ses problèmes découle de là.

Du point de vue administratif, les 400 habitants de Kitcisakik sont des squatters. La communauté est située à cheval sur des terrains d'Hydro-Québec, qui a un barrage à l'extrémité du village, et des terres de la Couronne qui appartiennent au gouvernement provincial.

Comme le statut du village n'a jamais été réglé, les rues ici n'ont pas de nom. Et les maisons n'ont pas d'adresse. Pour le courrier, on va à la poste du village voisin.

Autrefois simple établissement de trappe, le village a été construit dans les années 80. «Dès 1987, nous avons eu la première consultation sur notre statut», dit Edmond Brazeau.

Résultat : un non catégorique à la réserve. Pourquoi ? «Nous ne voulions pas être parqués là sans avoir rien à faire. Les gens veulent sentir que le village leur appartient.»

Des conditions inadmissibles

De consultation en consultation, les «résistants» de Kitcisakik ont mis au point le projet de village qu'ils rêvent de construire à une vingtaine de kilomètres plus loin dans la forêt.

Pourquoi ne pas construire à l'endroit actuel ? Parce que le terrain y est trop argileux et la nappe phréatique trop superficielle pour bâtir des installations sanitaires adéquates.

Comme le projet n'avançait pas, la communauté a fait une concession. L'an dernier, elle a accepté de mettre de l'eau dans son vin, en disant oui à un statut de «réserve provisoire» qui, espérait-on, permettrait de lancer la construction du village.

Depuis, le dossier n'a pas progressé d'un millimètre. Edmond Brazeau a rencontré le premier ministre Stephen Harper lors de sa brève visite à Val-d'Or pendant la dernière campagne fédérale.

«Quand je lui ai parlé de notre projet de village, il m'a dit qu'il n'en avait jamais entendu parler...»

«En 2008, il est quasiment inhumain de garder des gens dans ces conditions», dit Pierre Corbeil, député libéral d'Abitibi-Est à l'Assemblée nationale.

«Les gens de Kitcisakik vivent dans des conditions inadmissibles, c'est incroyable, ça se peut pas», s'indigne le député bloquiste Yvon Lévesque. Selon lui, si le dossier traîne, c'est parce qu'au ministère des Affaires indiennes, on craint les coûts de construction d'un nouveau village. Des chiffres circulent à ce sujet. 130 millions ? Ou 150 ? Le député se demande aussi si les leaders du village n'ont pas fait erreur en acceptant le projet de réserve : selon lui, ce compromis les a affaiblis.

Toujours à recommencer

À Kitcisakik, les conditions de vie s'améliorent peu à peu. L'an dernier, Québec a donné le feu vert à un CPE, par exemple. Le nouveau bloc sanitaire est plus spacieux et plus hygiénique que l'ancien. Mais le village n'est toujours pas raccordé au réseau d'Hydro-Québec, qui a des relais électriques à six kilomètres du village.

Pourquoi ? Le problème, c'est que personne ne veut investir de gros montants dans un village qui aura peut-être déménagé dans quelques années.

En attendant, les habitants de Kitcisakik endurent. «Faire la vaisselle dans une bassine, marcher un demi-kilomètre pour prendre sa douche, ce n'est vraiment pas ce que je souhaite», dit Mélanie Penasway, rentrée récemment au village après un séjour à Val-d'Or.

«Mais chaque fois qu'on espère avoir notre nouveau village, le gouvernement change et tout est recommencer», déplore-t-elle.

C'est aussi ce que dit le chef Edmond Brazeau : à peine un nouveau ministre des Affaires indiennes a-t-il fini d'étudier le dossier que tout est à recommencer. Et ces dernières années, il en a vu passer, des ministres et des fonctionnaires.

Souhaite-t-il donc que le gouvernement Harper reste en place après la rentrée de janvier ? Le problème, selon lui, c'est que le gouvernement conservateur ne s'intéresse pas beaucoup aux autochtones. Alors, peut-être un gouvernement de coalition aurait-il plus de chance ?

Les habitants du village, eux, n'osent plus rêver. Un matin, deux hommes prennent leur douche au bloc sanitaire. «J'ai hâte qu'on ait notre village», maugrée l'un des deux. Ce à quoi l'autre répond : «Quand ça va arriver, je vais être mort.»