L'homme d'affaires Karlheinz Schreiber, dont les transactions avec Brian Mulroney font l'objet d'une commission d'enquête, a remis ces derniers jours au Globe and Mail et à la CBC des documents qui, selon lui, mettent en doute le témoignage de Fred Doucet, l'ex-chef de cabinet de l'ancien premier ministre conservateur dans l'affaire Airbus.

Dans son témoignage devant le Comité d'éthique de la Chambre des communes le 12 février, Fred Doucet - de son nom complet Jean-Alfred Doucet - déclarait sous serment: «Je tiens à signaler que je ne sais rien du tout à propos de l'affaire Airbus.»

Le Globe and Mail publiait pourtant hier des documents dans lesquels Fred Doucet précise notamment à Karlheinz Schreiber combien d'avions A320 ont été achetés par Air Canada. «La réponse est 34 et ce chiffre, c'est deux de plus que ce qui était originalement prévu au contrat», peut-on lire dans une missive signée par M. Doucet et datée du 28 avril 1994.

Une autre note publiée dans le Globe montre une liste que Fred Doucet aurait reçue de Denis Biro, responsable des relations avec les investisseurs chez Air Canada, et qu'il aurait transmise à Karlheinz Schreiber. Encore là, il s'agit d'une liste détaillant les années de livraison des Airbus.

Cette liste date du 27 août 1993, le jour où Brian Mulroney a reçu à Montréal un premier de trois versements de 100 000$ de Karlheinz Schreiber, versements que M. Mulroney a expliqué avoir reçus non pas en guise de pots de vin pour la vente d'avion Airbus mais en salaire, après sa carrière politique, pour faire la promotion d'un véhicule militaire de la compagnie allemande Thyssen auprès de divers pays, dont la Russie et la Chine.

Pourquoi M. Schreiber, que l'Allemagne accuse de ne pas avoir payé ses impôts sur quelque 37 millions de dollars de commissions de toutes sortes qu'il aurait reçues et qui risque dans ce pays une peine de prison de 15 ans, n'a-t-il pas dévoilé plus tôt ces documents? Au Globe and Mail, M. Schreiber a déclaré que ces documents viennent tout juste de lui être acheminés par un intermédiaire suisse. Il a ajouté au Globe qu'il voulait placer M. Doucet et les autres témoins dans une fausse zone de confort. «Ils sont tombés dans mon piège à la rapidité d'un train à haute vitesse.»

Au téléphone à La Presse hier, Robert E. Houston, l'avocat de Fred Doucet a dit n'avoir «aucun commentaire» à formuler. Chez Air Canada, où on a d'abord tenté de joindre Denis Biro, on nous a immédiatement renvoyés à une porte-parole, qui devait nous rappeler, mais ne l'a pas fait. Karlheinz Schreiber n'a pas non plus répondu à notre appel, pas plus que M. Mulroney ou son avocat.

À la Chambre des communes hier, Pierre Polièvre, secrétaire parlementaire du premier ministre Stephen Harper, a déclaré qu'«il y a enquête publique. On espère obtenir les résultats de cette enquête en juin prochain, mais cela n'a rien à voir avec notre gouvernement».

Jeffrey Oliphant, commissaire chargé de l'enquête publique, a diffusé un communiqué dans lequel il dit que «la Commission n'émettra aucun commentaire au sujet des transactions financières et commerciales entre les parties visées par la Commission d'enquête. Pour ce qui est de la portée de l'enquête, aux termes de son mandat, la Commission doit, entre autres, enquêter et faire rapport sur la question de savoir si M. Mulroney a conclu une entente avec M. Schreiber alors qu'il était encore premier ministre ou député et, le cas échéant, sur la nature et la raison d'être de cette entente.»

L'ex-porte-parole de Brian Mulroney, Luc Lavoie, a déclaré en novembre que d'accepter de l'argent comptant de Schreiber avait été «une erreur colossale» que M. Mulroney avait commise alors qu'il abandonnait la politique, qu'il n'avait plus de revenu et qu'il avait des enfants d'âge scolaire à entretenir.

En 1997, Ottawa versait 2,1 millions en dédommagement à M. Mulroney, mettant ainsi fin à la poursuite pour diffamation entreprise par l'ex-premier ministre. Des accusations criminelles n'ont jamais été déposées.