Des demandeurs d'accès à l'information réclament une enquête après que deux listes confidentielles contenant plusieurs noms de demandeurs eurent été remises à la presse par le ministère de la défense la semaine dernière. Simple erreur? le colonel Michel Drapeau, l'un des principaux spécialistes de la loi sur l'accès à l'information au pays, y voit plutôt une «très sévère bavure à l'encontre de la vie privée».

Les listes en question ont été envoyées au quotidien à quelques jours d'intervalle en réponse à deux demandes d'accès qui chacune portaient sur un tout autre sujet. Intitulés «demandes actives par agent», les documents comprennent la description de plus de 60 demandes d'accès à l'information, accompagnées des noms des demandeurs. Près de 80% d'entre eux sont issus des médias. Or, selon la loi, l'identité des demandeurs est considérée comme un renseignement personnel et ne peut être transmise sans leur permission. Ce type d'information ne peut, par exemple, être partagé avec le ministre qu'en des cas exceptionnels. Cette norme sert notamment à assurer que tous soient traités sur un pied d'égalité. Des fonctionnaires de l'accès à l'information au ministère de la défense ont expliqué que le document avait été transmis par erreur, sans doute glissé dans l'enveloppe en même temps que la lettre. Ils ont demandé qu'on le leur renvoie.

«C'est un rapport que je me fais pour mon travail», a expliqué Lise Morin, dont le nom figure en haut du tableau regroupant les demandes. Personne à l'extérieur de son département ne devrait y avoir accès, a-t-elle affirmé. «C'est complètement interne. Ce n'est pas quelque chose qui va sortir à l'extérieur.» Julie Jansen, sa supérieure, a indiqué que les employés du département d'accès ne seraient plus autorisés à avoir recours à ce genre de liste.

Des personnes visées par l'incident ont de sérieux doutes quant à l'explication fournie par ces fonctionnaires. «Ce n'est pas un accident», a tranché l'employé du bureau de recherche du NPD, Alan Martin, un habitué de la loi sur l'accès et dont le nom s'est retrouvé sur la liste. «Le fait que vous ayez pu avoir accès à ce genre d'information m'inquiète grandement. Qu'est-ce qu'ils essaient de faire? nous intimider?»

Denis Coderre est du même avis. Le nom d'un adjoint du député libéral, Benoît Bouvier, apparaît lui aussi à deux reprises dans le document, pour deux demandes faites il y a plus de deux ans. «C'est grave! a lancé M. Coderre. On ne peut pas banaliser ça.»

«La première fois, c'est peut-être une erreur, a pour sa part convenu Michel Drapeau. Mais la deuxième, ça me donne l'impression que si ce n'est pas voulu, ce n'est pas loin de l'être. Je ne sais pas pourquoi... mais ça me laisse très, très perplexe.»

Les trois hommes veulent que le ministre de la défense fournisse des explications, et que le commissaire de l'accès à l'information, voire la vérificatrice générale, enquêtent.

«Ce n'est pas de demander la tête de quelqu'un, a précisé Denis Coderre. C'est d'avoir des réponses et une enquête sur la gestion exhaustive des documents. Et on veut une justification, non seulement de cet incident, mais sur le manque de transparence.» Ce manque de transparence est de plus en plus montré du doigt. Le dépassement des délais semble être désormais la norme au gouvernement fédéral.

«Cela est une autre preuve manifeste que le système d'accès à l'information est en péril», estime le colonel Michel Drapeau. L'avocat ajoute que le comité parlementaire de l'éthique devrait se pencher «le plus rapidement possible sur la détérioration du processus d'accès depuis les deux dernières années».

Me Drapeau note par ailleurs que la liste fournie à la presse soulève plusieurs autres questions d'importance. Par exemple, la grande majorité des noms inscrits sont ceux de personnes travaillant pour divers médias: Globe and Mail, CTV, Toronto Star, La Presse, Journal de Montréal, Ottawa Citizen, entre autres. Or, seulement 12,4% des demandes d'accès envoyées au gouvernement fédéral proviennent des médias, selon un rapport publié en 2007. L'ancien militaire y voit la preuve que certaines personnes, dont les journalistes, reçoivent un traitement particulier contraire au principe d'égalité.

De plus, des données du document démontrent que le ministère»ne se gêne nullement pour accorder de très longues prolongations», soutient me Drapeau. On peut voir en effet plusieurs demandes qui dépassent le délai de 30 jours prévu par la loi, dont une demande qui remonte à 2004, neuf qui datent de 2006 et 11 de 2007 (dont huit soumises par La Presse).

L'accès, c'est quoi?

Le gouvernement fédéral, comme le gouvernement du Québec ou la Ville de Montréal, est assujetti à une loi sur l'accès à l'information. Cette loi est entrée en vigueur en 1983. Le but était de rendre l'État plus transparent. Elle permet à tous les citoyens canadiens d'obtenir des documents qui les intéressent, et qu'il serait difficile d'obtenir par d'autres moyens. En principe, chaque ministère possède son département de l'accès à l'information.