Fatma M'ahamed Bentoutaou meurt à petit feu dans son appartement de l'est de Montréal. La femme de 83 ans, malade, ne peut plus aller à l'hôpital depuis qu'Ottawa a mis la hache dans les services de santé offerts aux réfugiés. Menacée d'expulsion, refusée comme demandeuse d'asile et en attente d'une réponse à sa demande de résidence permanente - qui pourrait mettre des mois à arriver -, elle n'a pas droit à l'assurance maladie. Sa famille craint qu'elle ne tienne pas le coup.

«Elle est gravement malade. Elle a absolument besoin d'être suivie», affirme sa belle-fille, Natalia Florea, qui lui sert d'interprète.

Les 17 et 18 août, Fatma M'ahamed Bentoutaou, une Algérienne qui s'est installée à Montréal il y a plus de 10 ans pour fuir son pays, a été hospitalisé d'urgence à l'Institut de cardiologie. Son coeur battait trop lentement; les médecins ont dû lui installer un stimulateur cardiaque. Deux mois plus tard, l'octogénaire a reçu plus de 7500$ en factures impayées de la part de l'Institut et d'une clinique spécialisée en cardiologie où elle a été vue.

«Comme le Programme fédéral de santé intérimaire refuse le paiement de votre visite suite aux changements apportés [cet été], nous sommes dans l'obligation de vous faire parvenir un compte», lit-on dans les documents. À l'Institut de cardiologie, on lui a fait savoir qu'elle devrait acquitter les soldes impayés avant de recevoir d'autres soins, raconte son avocat, Me Stéphane Handfield.

Mme Bentoutaou, qui souffre de troubles cardiaques sérieux, n'en a pas les moyens. Sa famille non plus.

Pourtant, elle n'a pas le choix. Elle doit payer, sinon elle ne reçoit pas de soins.

Conseiller frauduleux

En 2003, le gouvernement du Canada a refusé à Fatma Bentoutaou le statut de demandeur d'asile. Depuis, elle tente d'obtenir sa résidence permanente pour motifs humanitaires, qu'on lui a refusée une première fois en 2005. Après quatre années perdues à cause d'un conseiller en immigration frauduleux qui n'aurait jamais traité son dossier, une deuxième demande a finalement été déposée en 2010. «Il n'y a pas eu de décision jusqu'à maintenant», a fait savoir Immigration Canada. Comme les délais atteignent jusqu'à 42 mois, Mme Bentoutaou pourrait attendre encore plus d'un an avant de recevoir une réponse. D'ici là, elle n'a pas de carte d'assurance maladie.

Jusqu'en juin dernier, la vieille dame profitait du programme de santé intérimaire fédéral qui offre une couverture aux réfugiés ne bénéficiant pas encore d'un régime d'assurance maladie provincial. Mais moins de deux mois avant son hospitalisation, le gouvernement fédéral a annulé le remboursement des médicaments, des soins dentaires, de la réadaptation et de tout traitement jugé non urgent, comme les suivis de grossesse ou de maladies chroniques pour les personnes comme Mme Bentoutaou.

Vide administratif

Dans la foulée de cette décision controversée, Québec s'est engagé à payer la note pour les demandeurs d'asile, mais comme Mme Bentoutaou a essuyé un refus du fédéral en 2003, elle tombe dans un vide administratif. Pour Ottawa, elle était admissible au remboursement jusqu'à ce qu'elle soit expulsée. Aux yeux du ministère de la Santé, elle est l'équivalent d'une «touriste en visite au pays», comme tous les autres aspirants à la résidence permanente. «Afin d'obtenir des paiements, il vous faut être titulaire d'une carte d'assurance maladie», lui a écrit le mois dernier le Centre spécial des demandeurs d'asile du Québec. Elle n'y est pas admissible. Au ministère de la Santé, on explique qu'il lui faudrait une assurance privée en attendant d'obtenir sa résidence permanente. «Mais avec son état de santé, personne ne voudra l'assurer», affirme Me Handield.

Sans statut et menacée d'être renvoyée à tout moment en Algérie, où elle n'a «personne pour la prendre en charge», elle est mal prise. «Sans aide, on n'arrivera jamais à payer pour la faire soigner», dit sa belle-fille.

Selon Stéphane Handfield, le gouvernement fédéral doit agir. «Il me semble que vu les circonstances, on pourrait accélérer le traitement de son dossier, dit-il. Je suis très préoccupé par la position d'Ottawa. On joue avec la santé d'une femme âgée.»

À Ottawa, on voit les choses autrement. «Il est évident que Mme Bentoutaou a utilisé tous les recours possibles. Le système de protection des réfugiés du Canada est l'un des plus généreux qui existent dans le monde. Les décisions qui sont prises dans de tels dossiers ne le sont jamais à la légère», indique Julie Lafortune, porte-parole à Immigration Canada.

- Avec la collaboration de Vincent Larouche