Au Colorado, Vito Rizzuto a passé six ans dans une cellule minuscule d'une prison à sécurité maximale baptisée «l'Alcatraz des Rocheuses». Hier, l'ex-parrain de la mafia montréalaise a fait ses premiers pas d'homme libre - et s'est envolé vers Toronto le soir même.

La présence policière était remarquable - et inhabituelle - peu avant minuit, vendredi, à l'aéroport international Pearson, quand le vol United 3675 en provenance de Denver est arrivé. Des passagers ont rapporté avoir croisé un nombre imposant de policiers vêtus de gilets pare-balles. Au moment de mettre sous presse, Rizzuto lui-même ne s'était pas montré publiquement.

Le mafioso de 66 ans a été libéré vendredi matin du pénitencier Florence ADX, au Colorado. Des agents de l'U.S. Immigration and Customs Enforcement (ICE) ont supervisé son départ du territoire américain. Rizzuto a été escorté à bord d'un avion en début de soirée à Denver, en direction du Canada.

Le choix d'arriver à Toronto plutôt qu'à Montréal est un pied de nez adressé aux caïds locaux, selon des sources policières. Des tensions parfois violentes existent depuis des années entre le clan sicilien de Rizzuto et les Calabrais «'Ndrangheta», basés en Ontario. Avant son incarcération, Rizzuto avait aussi formé des liens avec d'autres acteurs du crime organisé torontois.

«On peut carrément assumer que sa vie est en danger ici», a confié une source policière locale impliquée dans la surveillance du crime organisé.

«Prendre le pouls»

André Cédilot, coauteur de Mafia Inc. et ex-journaliste aux affaires criminelles à La Presse, estime que Rizzuto veut «prendre le pouls» du milieu interlope torontois.

«Il pourrait chercher à savoir lesquels des mafieux siciliens et calabrais de l'Ontario lui sont restés loyaux, et lesquels en veulent toujours à son clan», dit M. Cédilot.

Arrêté en 2004, Vito Rizzuto a été condamné à 10 ans de prison pour son implication dans le triple meurtre de capos rebelles de la mafia new-yorkaise, en 1981. Il a été libéré un jour plus tôt que prévu pour des raisons administratives, selon Kim Nelson, agent de relations publiques au Bureau fédéral des prisons. Rizzuto pourrait se voir imposer certaines règles, comme l'obligation de se rapporter aux autorités à intervalles réguliers.

Les experts de la lutte antimafia à la police de Montréal s'attendent à ce qu'il revienne à Montréal pour reprendre le contrôle de la mafia, et venger, un jour, l'assassinat de plusieurs proches et acolytes.

Une source policière de Toronto croit que Rizzuto ne laissera pas ces crimes impunis.

«Rizzuto n'a pas le luxe d'essayer de tourner la page, de passer à autre chose. S'il le fait, il est fini.»

L'un de ses trois enfants, Nicolo, a été abattu dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce en décembre 2009. Onze mois plus tard, son père, également prénommé Nicolo, a été tué à son domicile, dans le nord de Montréal. Son beau-frère Paolo Renda a disparu, tandis qu'un autre homme fort de l'organisation, Agostino Cuntrera, a lui aussi été assassiné.

Dans un récent reportage, La Presse a révélé que des policiers et des mafieux montréalais avaient été informés qu'il serait de retour au pays avec une «liste noire» d'au moins trois ennemis: l'entrepreneur en construction Tony Magi, le gangster d'origine haïtienne Ducarme Joseph et le magnat de la construction et de la crème glacée italienne Domenico Arcuri.

Depuis le mois d'août, des commerces liés à Arcuri ou à ses associés ont été la cible d'au moins cinq incendies criminels.

Vito Rizzuto pourrait compter sur un nouvel allié proche des motards et des gangs de rue s'il revient à Montréal. L'ex-membre des Rockers de Montréal Gregory Woolley, seul Noir à avoir été admis dans un club-école des Hells Angels, s'affaire depuis quelques mois à réorganiser les réseaux de trafic de drogue dans le centre-ville de Montréal et s'est présenté aux funérailles du Hells Gaétan Comeau en compagnie d'un proche des Rizzuto, début septembre. Certaines «familles» siciliennes seraient aussi restées fidèles au clan de Vito Rizzuto.

Funérailles du beau-père

Tandis que Vito Rizzuto a recouvré sa liberté, son beau-père, Leonardo Cammalleri, a été conduit à son dernier repos, hier matin, à l'église Notre-Dame-du-Mont-Carmel, dans l'arrondissement de Saint-Léonard.

Leonardo Cammalleri était le père de Giovanna Cammalleri, la femme de Vito Rizzuto. Il a été trouvé sans vie la semaine dernière chez lui, dans le nord-est de Montréal. L'homme de 92 ans serait mort de causes naturelles.

- Avec Catherine Handfield, de La Presse, et Peter Edwards, du Toronto Star.