Le scandale de l'eau contaminée au trichloroéthylène (TCE) à Shannon se poursuivra devant la Cour d'appel. Les citoyens qui poursuivent la Défense nationale et les Industries Valcartier refusent de baisser les bras.

Le Regroupement des citoyens de Shannon n'a gagné qu'une bataille très partielle en Cour supérieure le 21 juin dernier, dans sa démarche de recours collectif.

Le juge Bernard Godbout a reconnu la responsabilité des pollueurs et autorisé des indemnisations, mais pour les seuls résidants d'un secteur appelé «triangle rouge» qui habitaient l'endroit entre décembre 2000 et décembre 2001 -jusqu'à 15 000$ par ménage si celui-ci compte un ou des enfants. Ce faisant, plusieurs victimes ont été écartées et laissées en plan.

«On avait reçu un bon coup de poing dans le front quand on a eu le jugement», relate Jean Bernier, vice-président du regroupement de citoyens. «Il y a énormément de points qui n'avaient pas de sens.»

Parmi eux, les raisons pour lesquelles le juge a restreint la définition de ceux pouvant faire partie du groupe visé par le recours demeurent un total mystère aux yeux des appelants.

Dans le document déposé au tribunal vendredi après-midi, on énumère une dizaine de points pour lesquels l'avocat Charles Veilleux considère que le juge a erré dans sa décision. On lui reproche entre autres de s'être appuyé sur des hypothèses non pertinentes et non supportées par la preuve.



«C'est un acte criminel»

Selon les données du Regroupement, les citoyens de Shannon, les militaires de Valcartier et leurs familles ont été exposés pendant plus de 30 ans à de l'eau soi-disant potable, mais qui, dans les faits, était contaminée au trichloroéthylène (TCE).

Le docteur Claude Juneau a agi comme médecin civil auprès des familles des soldats. Il avait aussi des patients des environs. Rapidement, ses données médicales ont révélé des faits qui n'étaient pas, à son sens, conformes.

Des cas de cancer en quantité, souvent plusieurs dans une même famille, de même que toute sorte d'infections à traiter de manière répétitive.

«J'ai suivi certains pendant 25 ou 30 ans et je me suis aperçu qu'il y avait des cancers, parfois deux par famille, d'autres avaient des douleurs abdominales, des vertiges en prenant leur douche. C'était toujours à répéter et je ne trouvais pas la cause», affirme le médecin.

Soucieux, Dr Juneau a partagé ses observations avec d'autres collègues, qui ont tous été étonnés de constater l'incidence du cancer dans une région aussi peu peuplée. Les chiffres surpassaient les seuils de populations pourtant beaucoup plus importantes.

«Quand j'ai appris en 2001 que c'était le TCE qui était dans l'eau, je me suis dit: la cause, ne la cherche plus», a-t-il affirmé.

Selon la poursuite, le TCE a été déversé par la Défense nationale. Le regroupement dit détenir des preuves écrites que la contamination était connue dès 1985.

«C'est écrit noir sur blanc. Ils savaient que l'eau qu'ils donnaient aux militaires et à leurs familles était contaminée et ils ont laissé faire ça. Pour moi, c'est un acte criminel», plaide le médecin.

«C'est David contre Goliath»

M. Bernier, du regroupement de citoyens de Shannon, espère encore pouvoir se battre pour les quelque 3000 personnes ayant adhéré au recours collectif, mais il sait très bien que l'argent commence à se faire rare.

«C'est le point qui nous chicote le plus. Pour reprendre ce qu'on disait en 2011 [en fondant le regroupement de citoyens], c'est David contre Goliath. Leurs moyens financiers sont infinis, alors que les nôtres sont énormément restreints.»

Mais ce n'est pas cela qui va arrêter l'avocat Charles Veilleux. «On a donné tout ce qu'on pouvait dans ce dossier-là et si je l'ai fait, c'est parce que j'ai vu des gens souffrir, j'ai vu des familles brisées, puis j'ai constaté qu'il y avait une contamination de la nappe phréatique avec un produit cancérigène. Je ne peux pas rester insensible à ça», a partagé celui dont le cabinet ne pourra toucher un dollar dans la poursuite.

- Lise Millette de La Presse Canadienne et Marie-Pier Duplessis du Soleil