L'interdiction de tenir une maison de débauche est inconstitutionnelle et porte atteinte à la sécurité des prostitués, a tranché la Cour d'appel de l'Ontario.

Cette décision pourrait avoir des impacts partout au Canada, dont au Québec, puisque le plus haut tribunal de l'Ontario a donné 12 mois au gouvernement fédéral pour réécrire l'article 210 du Code criminel, qui contient cette interdiction.

Or, même si personne ne l'avait annoncé officiellement, hier, tous s'entendaient pour dire que le dossier serait sans doute porté en appel devant la Cour suprême du Canada.

«Nous examinons la décision et nos options juridiques», a fait savoir par courriel une porte-parole du ministre de la Justice, Rob Nicholson. «Nous continuons de croire qu'il y a un besoin pour des lois contrôlant la prostitution et ses effets sur la société», a-t-elle ajouté.

On pourrait donc attendre encore plusieurs mois, voire des années, avant de connaître les impacts concrets de ce jugement. «Ça ne veut certainement pas dire que du jour au lendemain, tous les appartements vont devenir des bordels», a insisté Patrice Corriveau, professeur de criminologue à l'Université d'Ottawa.

Autres dispositions

Outre la question des maisons de débauche, la Cour d'appel a jugé qu'il n'était pas illégal pour une personne de vivre des fruits de la prostitution d'une autre, sauf dans un contexte d'exploitation. Par exemple, une prostituée pourrait faire appel aux services d'un agent de sécurité pour mieux se protéger. Mais un proxénète ne pourrait légalement prétendre remplir ces fonctions.

La Cour a par contre refusé d'invalider l'article 213 (1) (c) du Code criminel, qui interdit les communications entre un travailleur du sexe et un client potentiel dans le but de commettre un acte de prostitution. Cette partie de la décision a grandement déçu les demanderesses et différents groupes de défense des travailleuses du sexe (voir autre texte). Le tribunal était partagé sur cette question.

Les cinq juges ont dû parcourir 25 000 pages de preuve, contenues dans 88 volumes. L'argument des demanderesses, trois travailleuses du sexe, était largement basé sur les dangers encourus par leurs collègues dans leur vie quotidienne. Ils faisaient valoir que l'état actuel du droit brimait leur droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, tel que prévu à l'article 7 de la Charte.

«La preuve dans cette affaire suggère qu'il existe un taux d'homicide très élevé chez les prostitués et que la majorité des victimes sont des prostitués de la rue, ont conclu les juges. Également, bien que les prostitués qui travaillent à l'intérieur sont victimes de la violence, le taux de violence est beaucoup plus élevé et la nature de la violence est plus extrême, pour les prostitués qui travaillent dans la rue.»

La prostitution n'est pas en soi illégale au Canada, ont-ils noté. Mais les règles pénales sont formulées d'une telle manière que le seul moyen de vendre du sexe sans enfreindre la loi est de rencontrer le client chez lui ou dans un hôtel.

La décision d'hier risque de relancer le débat. Les juges se sont défendus de vouloir faire eux-mêmes ce débat. «Ça demeure la tâche du Parlement de répondre avec de nouvelles lois qui respectent les exigences de la Charte», ont-ils toutefois encouragé.