«Ils attendaient et ils se tenaient par la main. Tout le monde (le camion et les piétons) est parti en même temps, très doucement. J'ai klaxonné, mais mon criard n'était pas assez fort pour attirer l'attention du chauffeur. J'espérais que ça arrête. Mais ça n'a pas arrêté.»

C'est ainsi que Kenneth Deschênes, un témoin, a décrit hier l'accident qui a coûté la vie à Solange St-Onge, 72 ans, et Jean-Paul Pinet, 71 ans.

Le couple est mort écrasé par un camion de déneigement rue Sherbrooke, à l'angle de la rue Émile-Duployé, le 3 février 2009.

Le chauffeur du camion, Marc Choquette, n'avait pas de permis de conduire valide au moment de l'accident, a affirmé hier Josée Mireault, agente-enquêteuse au SPVM.

Le coroner Luc Malouin a entendu ces témoignages et plusieurs autres, au cours de la première journée de son enquête au sujet de la mort de quatre personnes survenue à Montréal dans des opérations de déneigement, l'hiver dernier. Un hiver marqué par des tempêtes de neige à répétition.

Selon l'agent Martin Roy du SPVM, spécialiste en reconstitution d'accidents, «la cause no 1» de la mort de Mme St-Onge et de M. Pinet est «le non-respect de la priorité des piétons».

Le couple marchait vers l'ouest sur le trottoir nord de la rue Sherbrooke. Il avait la priorité au feu vert pour traverser la rue Émile-Duployé tandis que le camion tournait à droite.

L'agent Roy a aussi fait ressortir que, au volant du camion à benne que conduisait M. Choquette, l'angle mort côté passager, où se trouvait le couple, pouvait s'étendre jusqu'à 10 mètres.

Les enquêteurs du SPVM et de la Société d'assurance automobile du Québec (SAAQ) ont voulu savoir si le chauffeur, M. Choquette, avait respecté ses périodes de repos dans les jours qui précédaient. L'accident est survenu six jours après une tempête. Mais M. Choquette ne conservait pas de registre d'activité, ce qui constitue en soi une infraction au Code de la sécurité routière, ont-ils affirmé.

Les enquêteurs ont tenté de démontrer que M. Choquette travaillait presque sans relâche depuis six jours, sauf pour une période de huit heures la veille de l'accident. Faute d'un registre en bonne et due forme, la preuve est basée sur des relevés de téléphones cellulaires et de radio, qui montrent de nombreuses communications entre M. Choquette et ses collègues camionneurs ou la Ville de Montréal. «On a pu établir plusieurs infractions quant aux heures de conduite», a affirmé l'enquêteur Jaquelin Février.

Toutefois, M. Choquette n'a pas été reconnu coupable de ces infractions. Son avocat examinera les relevés téléphoniques et pourrait tenter de les mettre en doute aujourd'hui.

Les enquêteurs ont donc dépeint un camionneur constamment au téléphone, qui était peut-être épuisé et dont le permis avait été suspendu parce qu'il avait atteint le maximum de points d'inaptitude.

Cependant, le seul témoin de l'accident, M. Deschênes, lui-même chauffeur de camion à la Ville de Montréal, a décrit une scène dans laquelle toutes ces circonstances troublantes n'ont peut-être joué aucun rôle. Il était garé juste de l'autre côté de la rue et l'accident s'est déroulé sous ses yeux.

«Les piétons étaient bien mal placés, a-t-il dit. Je savais que le chauffeur ne les voyait peut-être pas. Ils étaient en avant du rétroviseur, à égalité avec le pare-chocs. Le camionneur a vérifié ses miroirs, il ne parlait pas au cellulaire.»

L'enquête reprend ce matin avec le témoignage de M. Choquette. Le coroner entendra ensuite les témoins au sujet de la mort de Lucie Rivard Lanouette, aussi survenue le 3 février, dans la rue d'Iberville, près de la rue Fleury. Le témoignage très attendu de la Ville de Montréal aura lieu jeudi. L'enquête se déroule au palais de justice de Laval, faute de place à celui de Montréal.