L'appel au 911 provenait bel et bien de ce cottage en apparence endormi, rue de Nancy. Le policier, un colosse, a défoncé la porte puis est entré, suivi de son coéquipier. Deux autres policiers étaient déjà dans la cour.

C'était une nuit de juillet dernier, dans Côte-des-Neiges. Une jeune fille a appelé le 911, cachée sous son lit : «Un homme est entré chez moi, il a tiré sur mon père!»

D'où ce policier qui défonce la porte d'un cottage en apparence endormi, autour de 3h30 du matin, rue de Nancy.

En mettant le pied dans la maison, le flic est tout de suite tombé sur le propriétaire des lieux, ensanglanté. Il a ensuite vu sa femme, coupée au visage. Les agents ont sorti le couple de la maison.

C'est à ce moment que le policier qui venait de défoncer la porte a vu le suspect s'approcher de lui, dans un couloir.

Lentement, sans dire un mot. Il pointait son arme sur la tête d'un garçon de 10 ans, le fils du couple, qu'il utilisait comme bouclier.

Le flic a reculé. Il aurait bien voulu abattre le suspect. Impossible, trop risqué, trop dangereux d'atteindre le petit otage.

Il a reculé jusqu'au balcon.

La porte s'est refermée.

Les flics forment une tribu dans laquelle tout le monde se connaît. Sur les ondes, ce soir-là, les collègues du colosse, ceux de son poste, le 26, et ceux des postes avoisinants, ont su au seul son de sa voix que quelque chose de grave se passait rue de Nancy

Violation de domicile, tentative de meurtre et, maintenant, un enfant pris en otage : difficile de penser, quand on est policier, à une situation plus critique.

En quelques minutes, le quartier était bouclé. Une trentaine de policiers ont convergé vers ce secteur de Côte-des-Neiges. La situation était grave. Mais les flics avaient l'avantage : le bandit n'avait nulle part où aller.

***

Juillet 2006, Sainte-Dorothée, Laval, 3h30 du matin. Le peintre Jacques Sénécal est endormi comme on peut l'être au milieu de la nuit. Sa femme dort à ses côtés.

Un homme cagoulé le réveille. Il tient une lampe de poche. Il est armé. Il réclame de l'argent et des bijoux.

La description de la police de Laval, plus tard : noir, s'exprime en anglais. C'est tout.

M. Sénécal a tenté de résister.

Le voleur a ouvert le feu.

M. Sénécal est mort peu après.

L'homme a pris la fuite avec un peu d'argent et des bijoux.

Il court toujours.

Les policiers de Montréal croient que cet homme a commis une dizaine de braquages de domicile depuis 2002. Ils croient que le meurtrier de M. Sénécal est peut-être l'homme qui est entré dans ce cottage de la rue de Nancy, l'été dernier.

Ce qui les inquiète au plus haut point : l'homme n'hésite pas à tirer quand on lui résiste. Il l'a fait trois fois.

***

Le tireur, rue de Nancy, était donc coincé. Sa seule chance de fuir? Cet enfant. C'est en le tenant contre lui qu'il a ouvert une fenêtre donnant sur la cour. De sa main libre, avec son arme, il a balayé la cour d'un geste large. Il avait vu les policiers qui l'attendaient.

Ceux-ci, un homme et une femme, ont retraité.

C'est la brèche qu'attendait l'homme, qui a gagné la cour arrière et sauté une clôture, toujours avec l'enfant. Selon ce que j'ai appris, l'enfant est resté d'un calme exemplaire. C'est même lui, dans la ruelle, qui a suggéré au bandit de fuir dans une direction plutôt que vers une autre, qui débouchait sur une impasse.

C'est ici que l'homme a largué son otage et mis le cap sur l'ouest. À pied, il a traversé le chemin de fer, derrière la maison, vers la rue Mackenzie.

***

Les enquêteurs sont intrigués par cet homme. Parce qu'il sait des choses : il a frappé dans des maisons où il savait qu'il pourrait trouver de très fortes sommes d'argent. Rue de Nancy, par exemple, il savait que le propriétaire des lieux gardait chez lui près de 100 000 $ comptant.

Et c'est quand le propriétaire a feint l'ignorance à propos de cette somme que l'homme lui a tiré dessus.

Ce qui confond les enquêteurs, c'est la source des renseignements du voleur.

Comment sait-il que certaines des maisons qu'il cible regorgent de fric?

Jusqu'à connaître la somme exacte qu'il pourra y trouver?

***

En cette nuit de juillet, rue Mackenzie, deux policières sont assises dans leur voiture de patrouille. Elles sont du poste 26, le poste du quartier. En backup, comme disent les flics. Leur job, comme celui de plusieurs autres policiers postés partout dans le secteur : empêcher le voleur de la rue de Nancy de fuir.

Et, justement, voici un homme qui s'approche.

Il est autour de 4h du matin. Un homme marche seul, il parle au téléphone. Il correspond en partie à la description de l'homme recherché.

Une policière ouvre la portière, sort du véhicule. Et, pour parler le langage de la police, elle «l'engage». C'est-à-dire qu'elle pointe son arme sur lui. Sa partenaire, elle, allume le haut-parleur de la voiture de patrouille.

Impossible que l'homme ait raté la voiture de police, la policière qui pointe son arme sur lui, la voix de l'autre agente qui retentit dans le haut-parleur de la voiture.

Mais il poursuit sa conversation - réelle ou imaginaire - au téléphone. Il ignore littéralement les agentes.

Une source policière me dit que l'homme a montré son arme, enfouie dans son pantalon, aux agentes. La commandante du poste 26, Simonetta Barth, conteste cette version.

Toujours est-il que l'agente qui pointait son arme s'est rassise dans sa voiture de patrouille. Les deux policières ont appelé des renforts en signalant leur position.

L'homme a poursuivi son chemin, rue Mackenzie. Est entré dans une cour. A disparu dans la nuit.

On ne l'a pas revu depuis.

***

Parmi les agents présents en cette nuit de juillet, plusieurs sont furieux contre ces deux policières. Des enquêteurs des crimes majeurs du SPVM aussi. Jamais l'homme n'aurait dû leur échapper, chuchote-t-on.

J'ai exposé cette grogne à la commandante Barth, qui a depuis supervisé une vaste reconstitution des faits, à des fins de formation. Sa réponse : «Elles n'ont jamais été suffisamment près de lui pour être certaines à 100 % qu'il s'agissait de l'homme recherché.» Appui total de Mme Barth à tous les policiers présents ce soir-là.

Il est facile, après les faits, de dire que les deux policières auraient dû faire ceci ou cela, tranche la commandante du poste 26. «D'autant plus que les décisions sont prises en une fraction de seconde.»

Qu'importe. Une source policière m'a expliqué les choses de façon crue : «T'es à moins de 100 m des lieux de l'attaque. La description de l'homme recherché correspond au gars devant toi. Tu lui ordonnes d'arrêter et il t'ignore. Que veux-tu de plus?»

Traduction : les deux agentes auraient dû, au minimum, tenter d'appréhender ce type. Elles avaient tous les motifs pour le faire. Elles ne l'ont pas fait.

«Les filles ont eu peur. C'est tout. Ça arrive.»

***

L'homme a fait une erreur, rue de Nancy. Sa première depuis qu'il est apparu sur le radar des policiers : dans sa fuite précipitée, il a laissé une échelle contre le cottage.

L'échelle a mené les enquêteurs à un magasin. Ce magasin est surveillé par des caméras de surveillance. Ces caméras ont filmé un homme qui est, aujourd'hui, un «témoin important».

Un homme qui surprend ses victimes en pleine nuit, dans leur foyer. Un homme qui n'hésite pas à tirer au moindre signe de résistance. Un homme qui court toujours.