Encore ébranlé par l'assassinat de son petit-fils préféré Nicolo, le chef de la mafia montréalaise Nicolo Rizzuto doit maintenant affronter la justice pénale pour avoir caché à l'impôt un magot de 5,2 millions de dollars qui dormait dans des banques suisses. Inculpé d'évasion fiscale, le caïd de 85 ans doit comparaître en Cour du Québec, jeudi.

Dans l'avis de sommation déposé au greffe du palais de justice de Montréal, les enquêteurs de Revenu Canada lui reprochent d'avoir dissimulé des revenus d'intérêts de quelque 728 000$ que des placements fantômes ont rapportés en 1994 et 1995, ce qui signifierait un manque à gagner de 154 963$ pour le fédéral. Le magot de 5,2 millions se trouvait dans trois comptes suisses ouverts par des prête-noms. Comme il s'agit d'accusations criminelles, le vieux «parrain» montréalais pourrait, s'il est reconnu coupable, écoper d'une amende équivalant à deux fois le total des impôts dus au gouvernement fédéral, soit quelque 300 000$. Le cas échéant, Revenu Québec pourrait à son tour réclamer une pénalité similaire pour ces crimes présumés.

 

Étant donné que le dossier en est rendu à cette étape du processus judiciaire, on peut aisément penser que Nicolo Rizzuto, ainsi que sa femme, Libertina Manno-Rizzuto, ont déjà réglé leurs comptes avec le fisc fédéral. Celui-ci les talonnait depuis plus de 20 ans pour les interroger sur leur fortune. À l'issue de l'opération antimafia Colisée, en novembre 2006, Revenu Canada leur réclamait notamment 1,5 million en impôts impayés et en pénalités en marge d'importantes sommes d'argent découvertes dans les banques helvétiques. En attente d'un règlement, Revenu Canada avait gelé la luxueuse maison du couple, rue Antoine-Berthelet, à Cartierville, ainsi qu'une Jaguar et une Mercedes. Les ententes fiscales étant secrètes, on ne sait trop comment tout cela s'est fini. Chose certaine, en vérifiant au registre de la Ville de Montréal, on constate que l'hypothèque judiciaire qui grevait la maison a été rayée par le tribunal.

À en croire les documents judiciaires déposés à la Cour fédérale en 2006, les plus récentes déclarations de revenus du chef mafieux sicilien et de sa femme concernaient les années 2001 à 2005. Nicolo Rizzuto, qui se disait l'un des administrateurs du salon funéraire Loreto, dans le quartier Rivière-des-Prairies, déclarait successivement des revenus imposables de 24 176$, 30 001$, 41 025$, 62 838$ et 63 348$. Durant ces cinq années, Libertina Manno-Rizzuto disait pour sa part avoir gagné de 88 139$ à 119 639$. Le nom du mafioso sicilien est disparu des registres gouvernementaux traitant du complexe funéraire Loreto depuis au moins son arrestation en 2006.

Son petit-fils Nicolo l'a remplacé jusqu'à ce que celui-ci tombe sous les balles d'un tueur, le 29 décembre dernier, dans l'ouest de la ville. Il venait d'avoir 42 ans. Les actionnaires du Loreto sont aujourd'hui sa fille, Maria Renda, et sa bru, Giovanna Cammaleri, épouse de Vito Rizzuto, emprisonné aux États-Unis depuis 2006.

L'affaire des comptes suisses a été mise au jour en 1994 quand la femme de Nicolo Rizzuto s'est amenée précipitamment à Lugano afin de transférer l'argent d'un compte ouvert par un restaurateur de Montréal et ami de la famille, Luca Giammarella. Après vérifications, les autorités suisses ont découvert deux autres comptes, l'un au nom de Nicolo Riozzuto et de sa femme, et l'autre au nom de Pietro Farruggia et Giuseppina Luccia Farruggia, nièce de Libertina Manno-Rizzuto. Tout en avouant que Giammarella et les Faruggia agissaient à titre de paravents, la vieille femme soutenait que l'argent provenait «d'activités ouvrables» de son mari au Venezuela.