Peut-on rouler en voiture à plus de 180 km/h dans une zone de 70, en plein coeur de Montréal, être arrêté par la police et s'en tirer? Oui, a tranché récemment la Cour du Québec, dans un cas qualifié d'«exceptionnel».

Le juge Gilles Michaud a en fait accepté la défense - qu'il qualifie également d'«exceptionnelle» - d'un videur de bar, Marc Chaput, qui était sûr d'avoir été suivi après son quart de travail et craignait pour sa vie. «On peut s'interroger si, à 3h30 de la nuit, pour une personne raisonnable faisant face à une situation comme celle-là, il y a des limites de vitesse qui tiennent», s'interroge le juge Michaud dans sa décision, rendue le 9 septembre dernier.

 

Le 14 octobre 2006, Marc Chaput avait connu une soirée mouvementée: il avait dû expulser quatre personnes «avec une coupe afro» du bar de la rue Saint-Jacques où il travaille, dans le Vieux-Montréal, avec l'aide de ses collègues. «(Ils) faisaient du trouble à une dame dans le bar, a expliqué le videur à la cour. Ces jeunes hommes ne voulaient pas sortir, ils ont dû être physiquement immobilisés.»

Après son quart de travail, à 3h30, il monte dans sa voiture. Il voit dans son rétroviseur une automobile avec, à son bord, quatre personnes coiffées à l'afro. Il accélère, ralentit, prend la rue Notre-Dame, puis l'autoroute 25, revient sur l'autoroute Métropolitaine... rien à faire: il est toujours suivi.

Il réfléchit à ce qu'il doit faire «et pense à ses enfants», raconte le juge. «Il a vraiment eu peur pour sa vie.» Le videur ne peut utiliser son téléphone cellulaire, la pile est à plat et il n'a pas son chargeur.

Un agent de la Sûreté du Québec, Daniel Lauzon, le voit passer à toute allure sur la 40 et le prend en filature. Il le suit sur 2,5km et établit sa vitesse à 180, 190 km/h. À la sortie du boulevard Marien, Chaput ralentit pour faire un demi-tour. Il est intercepté par l'agent Lauzon et «soulagé que ce soit des policiers» qui l'arrêtent. Il écope d'une amende de 925$ et de 12 points d'inaptitude.

En cour, l'agent confirmera essentiellement tout le témoignage du videur - la voiture suspecte, la collaboration de M. Chaput, ses explications. Le juge Michaud estime d'entrée de jeu que cette histoire «justifie bien le procès». Marc Chaput, cette nuit-là, «doit lui-même faire face à un péril imminent, aucun autre choix ne se présente raisonnablement à lui et, enfin, l'infraction est moins grave que ce qu'il veut éviter».

Tout en acceptant les explications de M. Chaput, il estime que «cette défense doit être évaluée avec rigueur pour en éviter un usager abusif». «Il ne s'agit pas d'une recette pour éviter d'assumer une responsabilité civile», prévient-il, avant d'ordonner l'acquittement de M. Chaput.

Pour l'avocate de M. Chaput, Marie-Hélène Lamoureux, cette victoire est d'autant plus grande que les juges se montrent généralement très réticents à accepter ce type de défense. «Le juge Michaud n'est pas du tout connu pour être un «acquitteux», note-t-elle. C'est exceptionnel de gagner ce type de dossier. La défense de nécessité, qui donne une excuse à une infraction dans le but de sauver sa vie, demande un fardeau de preuve impressionnant.»