En traitant la mairesse de Rawdon, Louise Major, de «maireSS», de «paranoïaque profonde» et de «bitch» sur un forum de discussion, un groupe de citoyens de la municipalité a tenu des propos diffamatoires, a tranché la juge Danielle Richer. Dans un jugement rendu le 9 juillet, la magistrate oblige les citoyens à fermer leur site. Une décision majeure qui survient à la veille des élections municipales.

«On voit aujourd'hui que le réseau internet n'échappe pas à la justice. On voit aussi que les gens ont le droit de critiquer, mais qu'ils ne peuvent pas attaquer la réputation des autres», explique l'avocat Carl-Éric Thérien, qui représente la mairesse Major dans cette cause.

Forum de discussions

C'est en 2004 qu'un résidant de Rawdon, Stephen Leblanc, crée le site internet www.rawdon-qc.net. Le site, qui présente l'actualité régionale, héberge aussi un forum de discussions.

La mairesse Major, élue en 2002, ne remarque l'existence du forum qu'en 2005. Elle s'aperçoit alors que de nombreuses attaques sont dirigées contre elle et contre le directeur général de Rawdon, Jean Lacroix. Au fil des mois, les attaques sont de plus en plus virulentes.

«Tout ce qui sort de l'Hôtel de Ville (...) a constamment et depuis la première élection de ces crétins les apparences de magouilles aux odeurs indéniables de pot-de-vin», écrit Roger Beausoleil sous le pseudonyme «Astro», en juillet 2007. «Il y a sur Quenn Street une ordure qui sévit. Ce mec, c'est le Mal incarné. Il se prend pour un petit Furher», écrit Georges Cloutier, alias «Fantôme». Danielle Delbecque (Furet), Lise Lebel (Neige) et Éric Ray Hall (PAP) publient aussi des critiques acerbes. Et les deux modérateurs du site, Beverley et Richard Prud'homme, ne font rien pour faire taire ces commentaires.

Escalade d'injures

Pendant que les attaques pleuvent, la mairesse Major hésite à poursuivre les responsables. «J'avais peur qu'en prenant des mesures contre les auteurs, les attaques ne se multiplient, dit-elle. Mais quand on tapait "Rawdon" dans Google, on tombait sur le forum. Ça me dérangeait.»

En janvier 2008, la mairesse envoie une mise en demeure à l'exploitant du site, M. Leblanc, lui demandant de se rétracter. L'effet est nul. Dans les jours suivants, M. Leblanc met en ligne la question suivante: «Selon vous, quels sont les meilleurs mots pour décrire la mairesse de Rawdon?» Parmi ses choix de réponses, on trouve : une rêveuse, une «bitch» hypercontrôlante, une femme avare de pouvoir...

Devant cette escalade d'injures, Mme Major entame des procédures judiciaires. Le 6 février, une injonction interlocutoire provisoire force la fermeture du site dans l'attente d'un jugement. La juge Richer a finalement donné raison à Mme Major la semaine dernière, et demandé la fermeture définitive du site. Les personnes visées par l'injonction ne peuvent également plus tenir de propos diffamatoires envers la mairesse Major, le directeur général et la municipalité de Rawdon.

La juge Richer mentionne que les propos des participants du forum «ne sont soutenus par aucune information objective». Le jugement parle d'»attaques vicieuses et personnelles», de «propos haineux» diffusés «via un moyen très puissant qu'est celui d'internet». «Il y a également apparence que les discussions sur ce forum se sont emballées de façon totalement abusive et incontrôlée», est-il écrit.

La juge Richer mentionne que les propos portent même préjudice à la municipalité de Rawdon dans son entier.

La mairesse de Rawdon est satisfaite du jugement. «J'espère que mon cas va montrer que, malgré la liberté d'expression, il ne faut pas permettre l'intimidation sur l'internet, dit-elle. Les gens ne sont pas tous d'accord avec ce qui se passe à Rawdon et ils ont le droit d'exprimer leur mécontentement et de nous critiquer. Mais de là à faire de la diffamation, il y a une ligne à ne pas franchir.»

Mme Major explique aussi que plusieurs maires du Québec subissent pareille campagne de salissage. «Les maires ne savent jamais s'ils doivent entamer des procédures ou non, dit-elle. Ils ne veulent pas gaspiller l'argent des contribuables. Mon cas va peut-être les aider.»

«La réputation des politiciens est maintenant protégée. Les gens ont le droit de les critiquer, mais ils ne peuvent attaquer leur réputation», ajoute Me Therrien.

La Presse a tenté sans succès, hier, de joindre les participants du forum cités dans le jugement. Me David Couturier et Me Patrick Jean, qui représentent certains d'entre eux, se sont contentés d'indiquer qu'ils décideront sous peu s'ils feront appel de la décision.